Depuis près de 10 ans que je l’arpente dans tous les sens, le Museo Nacional de Bellas Artes avait fini par ne plus me surprendre. Miracle, il est maintenant doté d’un site internet remarquable, et qui fonctionne. L’info disponible sur ce paquebot de la culture cubaine est enfin digne de ses missions, du coup je vous embarque !
Un peu d’histoire
Lorsqu’en 1913 le Museo Nacional ouvre ses portes, il est loin de ressembler aux deux bâtiments que nous connaissons aujourd’hui. L’architecte Emilio Heredia Mora (descendant du poète) avait lancé un appel dès 1910, afin de réaliser ce rêve créole d’avoir un Musée National. En quelques mois, les institutions civiles et religieuses, les artistes et collectionneurs de la bonne société havanaise étaient ralliés à sa cause. Donations, prêts et dépôts affluaient.
Ne restait plus qu’à trouver un lieu d’exposition : ce serait tout d’abord une partie de l’Antiguo Frontón¹, calle Concordia, puis la Quinta de Toca, sur l’Avenida Carlos III (aujourd’hui Salvador Allende). Le nouveau directeur, Antonio Rodríguez Morey, consacra 50 années de sa vie au développement du musée.
Pendant les années où la collection disparate était bien à l’étroit dans une maison de la calle Aguiar (Habana Vieja), les projets de construction prenaient du retard. En 1925, le duo d’architectes Evelio Govantes y Félix Cabarrocas avait présenté un projet qui fut finalement coiffé au poteau par celui d’Alfonso Rodríguez Pichardo dans les années 50 !
Le bâtiment, qui intègre des œuvres d’art sur les façades comme dans le patio, est baptisé Palacio de Bellas Artes et expose les collections nationales. Son ouverture relance les donations : María Ruiz Olivares, marquise de Pinar del Río, offre un Zurbarán et quelques toiles de Chartrand, entre autres… Joaquín Gumá Herrera, comte de Lagunillas, offre sa somptueuse collection d’art antique. Ça vous donne une petite idée des fortunes colossales des grandes familles hispano-cubaines d’alors.
Revolución et contemporanéité
À cette époque, l’Instituto Nacional de Cultura, qui dépendait du ministère de l’Éducation, se chargeait de constituer une collection d’art contemporain, qui n’occupait que le dernier étage du musée.
Tadam ! Avec le changement de régime arrive la notion de démocratisation de la culture (de même qu’en France mais pas tout à fait dans la même optique). Arrivent surtout deux phénomènes parallèles : l’exode massif de la bourgeoisie cubaine et la création du Departamento de Recuperación de Valores del Estado. En clair, la nationalisation des biens privés !
Certains de ces biens sont actuellement réclamés par des familles vivant aux États-Unis, qui les revendiquent comme leur héritage légitime. C’est notamment pour cette raison que les collections du musée ont du mal à voyager à l’étranger : tout comme les danseurs et les sportifs, elles risqueraient de ne jamais revenir…
Alors, quoi qu’on en pense politiquement, les collections s’enrichissent tant qu’il devient nécessaire de les scinder en plusieurs parties. Le fonds archéologique et ethnologique est transféré à d’autres institutions, tandis que le Palacio de Bellas Artes se consacre uniquement aux arts plastiques.
Dès le début des années 60, le musée s’attache à donner une visibilité maximum à l’Arte Cubano, de l’époque coloniale à l’art contemporain en passant par les maîtres académiques et modernes. Premières rétrospectives consacrées à Amelia Peláez, Portocarrero, Víctor Manuel, Pogolotti…
La contemplation des œuvres n’est plus réservée à la grande bourgeoisie et un travail important de médiation est réalisé. Mais…
De 1996 à 2001
Période difficile, le musée ferme ses portes. La crise économique se ressent bien sûr aussi dans cette institution, qui n’est plus en mesure d’assumer sa responsabilité sociale en termes d’accès à la culture. C’est dire si la réouverture en 2001 fut un événement.
Le musée renaissait de ses cendres et s’était dédoublé ! En effet, c’est en 2001 que le Centro Asturiano, à quelques encablures, est devenu le lieu d’exposition de l’Arte Universal. On peut y retrouver les antiquités et l’art européen de la collection nationale, mis en scène dans une architecture remarquable (grand escalier, vitrail, mosaïques). Remarquable, mais pas toujours en grande forme… Lors de mon dernier passage, d’importants travaux étaient en cours pour consolider l’escalier central qui prenait l’eau à travers la verrière. Depuis, il a manifestement retrouvé sa superbe.
Temporaires mais pas secondaires
Aujourd’hui, tout le monde s’est habitué à ce musée à deux têtes : l’art cubain d’un côté et l’art « universel » de l’autre, sous la double casquette de Museo Nacional.
C’est un musée vivant, où les jazz addicts se retrouvent pour des concerts le samedi soir et où les enfants viennent s’amuser le dimanche matin. Il dispose de boutiques, de cafeterias et d’un centro de información où les étudiants en art peuvent consulter des archives.
Les collections permanentes ne bougent pas beaucoup mais les expositions temporaires assurent le show !
Parfois consacrées à un seul artiste ou plus ambitieuses, grâce à des collaborations avec des fondations étrangères, telle Sin máscaras en 2017 : une exposition consacrée aux artistes afro-cubains, provenant exclusivement de la collection privée du sud-africain Chris von Christierson.
En ce moment, le public cubain découvre, du côté Arte Universal, l’artiste kosovar Sislej Xhafa, qui a pris pied sur l’île grâce à Galleria Continua. Tandis que l’Edificio de Arte Cubano propose une rétrospective de la photographie cubaine. Entre autres réjouissances !
Vous êtes sur place ? Bonne(s) visite(s) ! Pas encore ? Commencez une promenade virtuelle sur le site du musée. De Gustavo Acosta à Antonia Eiriz en passant par Tania Bruguera, leurs œuvres sont une excellente introduction à la vitalité de l’art cubain.
¹ Ce haut lieu de la pelote basque a eu son époque de gloire mais il est aujourd’hui à l’agonie.
Museo Nacional de Bellas Artes, arte universal : Calle San Rafael, en face du Gran Teatro. Edificio de arte cubano : calle Trocadero, entre Agramonte et Bélgica.
Photo à la Une : Celia y Yunior, Discurso Publico, visualizacion de datos (fragment) photographié au Museo en décembre 2017. Une œuvre réalisée suite à une recherche dans les archives du Museo Nacional de Bellas Artes.