Si les potagers urbains font fureur dans les pays développés, ils ont un tout autre goût à Cuba. On les nomme organopónicos et leur origine remonte à la tristement fameuse Période Spéciale des années 90. Ils seraient inspirés des cultures en hydroponie développées en URSS pour pallier le manque d’ensoleillement, mais adaptés au climat tropical.
Plus le moindre engrais disponible, une dépendance dramatique aux importations… Il n’en fallait pas plus pour que les maraîchers et ingénieurs agricoles cubains ne ressortent des techniques vieilles comme le monde : culture en planches surélevées, lombricompost, lutte biologique contre les ravageurs et purins végétaux, la totale !
Du point de vue du consommateur, le bénéfice est immense et se repère dans l’assiette : vos maigres tranches de tomates anémiques proviennent probablement d’une ferme d’État et sont arrivées jusqu’à vous au terme d’un circuit de distribution lent et inefficace.
En revanche, si vous êtes en train de déguster des légumes variés et goûteux, c’est sans doute qu’ils ont été achetés sur un marché d’agricultura urbana (le débouché des organopónicos) ou encore mieux, dans une finca agroecologica (la même chose en plus grand à la campagne).
C’était un petit jardin
Qui sentait bon le Métropolitain…
Jacques Dutronc / Claude Lanzmann, Le petit jardin
Du point de vue des habitants et des visiteurs, les organopónicos sont aussi des espaces de fraîcheur et de poésie qui surgissent au détour de la promenade et invitent à ralentir. À la place d’un immeuble écroulé, entre deux barres de béton ou dans le jardin autrefois somptueux d’un manoir décrépit… le bruit de l’eau, le va-et-vient des abeilles, un papy qui repique ses oignons et le parfum du basilic¹. Silence, ça pousse !
Ils sont parfois destinés uniquement à nourrir ceux qui les cultivent (sur le site d’une entreprise par exemple), mais le plus souvent ils proposent une vente sur place. Enfin, certains d’entre eux se visitent et reçoivent régulièrement des associations de jardiniers ou de spécialistes de l’agriculture biologique.
C’est la 3e génération d’organopónicos, qui participe à sa manière au développement d’un tourisme « durable » sur l’île. En attendant votre prochaine visite, je vous propose un petit reportage d’Est en Ouest :
À Baracoa, surprise de découvrir un potager sur l’emplacement de ce qui fut autrefois la pelouse qui enserrait proprement le tres plantas. Un peu plus loin, sous l’égide du CDR, une minuscule parcelle de bord de route fournit quand même tout le quartier en légumes frais.
À Sancti Spiritus, un organopónico étonnant de productivité, malgré la sévère canicule de cette fin juillet, jouxte el estadio où se déroule la finale du tournoi de lucha (je vous en parlerai une autre fois). Les papys qui le cultivent (retraités des FAR ?) ont la main verte ! À l’occasion ils fournissent aussi en plantes médicinales, domaine dans lequel ils ont manifestement la confiance des dames du quartier. Mais pour visiter, tintin.
Je vous laisse deviner dans quelle ville se trouve cet organopónico ? Indice : « Aqui se queda la clara, la entrañable transparencia…« . Dommage, le punto de venta était fermé lors de mon passage.
Aux environs de La Havane, du plus grand au plus petit : les cultures en plein champ de qiumbombos et de frutas bombas en bordure du Parque Lenin et une minuscule pépinière au pied d’un de ces immeubles ingrats d’Alamar. Des échelles différentes mais une même fièvre de culture maraîchère.
El Organoponico de la calle Desagüe dans le quartier El Cerro : cette zone recelait autrefois de nombreuses fabriques et activités commerciales. On y a même construit des cités ouvrières qui évoquent un peu les corons de notre Nord.
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,Je me suis promené dans le petit jardin…
Paul Verlaine, Poèmes Saturniens
Aujourd’hui, tout part en poussière, sauf peut-être les parcelles plantées de boniatos, frijoles et herbes aromatiques. Le gardien était réticent à me laisser entrer, puis finalement il s’est attendri mais soudainement il a disparu…
On finit ce petit voyage sur les hauteurs de Viñales, avec une vue magnifique sur les mogotes. Malgré son étendue, cette ferme utilise les mêmes méthodes que les organopónicos urbains : planches surélevées et cultures entrecalées de fleurs mellifères. Bonne nouvelle : elle se visite !
Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
Y el caballo en la montaña…
Federico García Lorca, Romance sonámbulo
Tout comme les fincas La Melissa, Marta etc. qui ceinturent La Havane. Elle sont gérées par des spécialistes organisés en coopérative. Ce qui signifie qu’en plus de nourrir leurs contemporains, elles participent au renouvellement social en leur offrant de meilleures conditions de travail. De plus, leurs équipes connaissent parfaitement les méthodes de culture qui préservent le sol de l’érosion et de l’épuisement. À suivre !
Traductions possibles pour Organopónicos : potagers urbains, permaculture…
¹ Le basilic, albahaca sous les tropiques, n’est pas une herbe culinaire mais un élément de culte. Il est vendu à cet effet.
Sources : Suelos de Cuba se degradan en espera de más productividad campesina sur le site de l’Asociación de Consumidores Orgánicos. Organoponics sur le wiki Opensource Ecology.
Photo à la Une : Un organopónico à Sancti Spiritus, avec ses planches surélevées, ses salades repiquées et son rideau d’arbres fruitiers coupe vent. Un modèle de potager urbain.
Buen dias !
Merci pour votre blog, que nous visitons très régulièrement.
Nous avons reconnu le jardin de l’aimable Orlando Frometa de Baracoa. Il nous a fait goûter quelques herbes et légumes de son minuscule eden…
Aimeriez-vous une ou deux photos (libres de droits bien sûr!)
Merci encore pour vos découvertes et vos surprises…
JeanLouis & Muriel
Ah super ! Pour les photos volontiers, le mieux serait que vous les mettiez sur la page FB serendipia-cc.com (en message). Je les publierai en mentionnant leur origine et leurs auteurs. C’est toujours touchant de penser que d’autres ont repéré les mêmes petits détails dans un paysage donné. à bientôt pour les photos alors !
N’étant ni sur FB ni sur 2iter, je vous transmets le fichier zip par ‘wetransfer’ à votre adresse mail de laposte…
Les images sont de Muriel Anssens, libres de droits etc…etc…
Merci encore pour vos billets voyageurs jamais voyeurs !
Bien agréable de recevoir ces photos pleines de lumière, par ce matin tristounet de novembre. Je viens de les publier sur la page FB de serendipia. Merci encore et à de prochaines occasions !