Il est sans doute né plusieurs fois, dans la Grèce antique, en Chine et au pied des tours gothiques, il a été façonné dans sa forme moderne par le cavalier britannique Philip Astley et… force est de constater qu’il est allé loin : le cirque, si ancien et si populaire en Europe, a touché terre à Cuba.
À la fin du XVIIIe siècle, des écrits officiels font état de « jongleurs, prestidigitateurs, saltimbanques, mimes et funambules » dans l’espace public, ou de clowns et marionnettistes dans les demeures des riches. En 1800 une installation précaire de toile et bois accueille un cirque équestre à La Havane : le Circo Cubano est né et se développe rapidement : Pubillones, Habana Park, Montalvo…
Pendant la première moitié du XXe siècle, les liens commerciaux et culturels entre Cuba et les États-Unis se resserrent (pas toujours de manière équitable, mais c’est un autre sujet). Ceci explique sans doute que le cirque cubain se réfère plus à une esthétique « américaine » de l’entertainment, qu’à notre tradition européenne, avec ses derniers rebondissements qui ont donné naissance au Nouveau Cirque.
C’est tout au moins la sensation que j’ai lorsque je suis en présence du cirque à Cuba. Je choisis deux dates clés pour illustrer les liens étroits entre cirque cubain et nord-américain : la création du Santos y Artigas en 1916 et la re-création du Razzore en 1948.
1916 : Création du Circo Santos y Artigas
Messieurs Santos et Artigas ont une carrière intéressante : à l’aube du XXe siècle, alors employés d’une compagnie de tabac, ils décident de monter leur propre business. Ce sera dans le cinéma : la Compania Cinematografica Habanera qui racheta, entre autres, tous les droits de Pathé. Succès instantané qui conduira à la gestion de plus de 10 cinés à La Havane, la construction de nouvelles salles, la production d’opéras, de comédies musicales et de vaudevilles.
Témoins du développement du cirque sur l’Île, Santos et Artigas ont l’idée de monter leur show. Ils passent un moment aux États-Unis pour engager des artistes chez Barnum & Bailey et Ringling Bros. et lancent leur propre cirque en 1916. Deux saisons plus tard, le succès est tel que le Santos y Artigas est scindé en deux parties qui tournent simultanément.
En témoigne cette lettre de Minnie Fisher¹ : « The Lorettas and I are with the No. 1 show, managed by Mr. Artigas. No. 2 is managed by Mr. Santos, assisted by Frank Longbottom. The Hanneford Family of riders are one of the many acts from the Ringling Bros. and Barnum & Bailey Circus, not forgetting Mr. and Mrs. George Lorett and myself, from the John Robinson Show. This show closed its season in Havana, January 6. We have been on the road three weeks, traveling in twenty cars, four stateroom sleeping cars, and the American performers are allowed the privilege of keeping house in our staterooms, as most of us don’t like the Cuban cooking. . . . »
Billboard, February 9, 1918, p. 31.
Ajoutons que « Para muchos artistas de variedades el Circo Santos y Artigas fue la antesala del Tropicana, la radio y, más tarde, la televisión. »
Pour nombre d’artistes de variétés, le Santos y Artigas a été l’antichambre du Tropicana, de la radio et plus tard de la télévision.
Feliú Jiménez, site Circo Meliès, voyez le lien en bas de page.
1948 : Mort et retour du Circo Razzore
Emilio Roggero était né au sein du cirque Razzore, fondé par son grand-père à Rio de Janeiro en 1836. Dès l’âge de 5 ans il commençait à se produire sous le chapiteau itinérant. D’abord au trapèze puis dans la cage aux lions et enfin comme clown. La famille était un vrai clan : Son frère Romulo maîtrisait la technique du chapiteau, son frère Juan était clown et acrobate, sa sœur Amanda aussi et son épouse Betsabel était soliste dans l’orchestre.
Leurs enfants Moraima, Guillermo et Willie étaient du spectacle; sa belle-sœur Fresolina entrait avec lui dans la cage aux lions, sans compter un chapelet de neveux et nièces… Bref la famille suffisait à mener à bien un bon show, mais en cette année 1948 les affaires marchaient très bien et le spectacle s’était étoffé de numéros supplémentaires.
Une tournée de 2 ans à Cuba venait de s’achever. Fin août, Emilio disait au revoir à sa troupe – plus de 40 personnes, 60 animaux et tout le matériel – qui s’embarquait depuis le port de Mariel (déjà) pour la Colombie. Lui prenait l’avion pour les précéder sur le terrain, mais… le bateau chavira dans les eaux Caraïbes.
Seuls 9 hommes survécurent, dont Jesus Vargas le montreur de singes, Santiago Bravo le dompteur, 3 des 6 Chinese Chang brothers et Ruben Morales, musicien de l’orchestre. La famille Razzore avait disparu, et avec elle 30 000 $ en cash représentant le bénéfice de la tournée cubaine.
En état de choc, ne possédant plus que ses vêtements et quelques traveller’s cheques, Emilio retourna à Cuba pour essayer de renouer les fils auxquels tenaient sa vie. Là, il trouva de l’aide auprès d’entrepreneurs locaux et la solidarité professionnelle se mit en marche : Les frères Atayde, managers de 3 cirques mexicains, lui avaient cédé un vieux chapiteau, des gradins et quelque animaux de ménagerie…
Des vedettes américaines (Alzana high-wire family, Clayton Behee aerial troupe et la Chinese juggling team), qui « hivernaient » à Sarasota, offrirent de se produire à prix d’ami. Vargas acheta un chimpanzé au zoo de Miami et le forma en 1 mois. Dans le même temps, Morales montait un nouvel orchestre. Deux jours avant Noël, le dernier des Razzore présentait son nouveau show à La Havane. Ce fut un succès.
1960 et après : Triple salto et rétablissement
En 1959 une quarantaine de cirques (sur)vivaient sur l’Île et continuèrent quelques années. Mais dès 1960, rupture culturelle et économique, le cirque en tant que divertissement populaire subventionné était né sous le nom de Circo Nacional INIT, installé à deux blocs du Capitolio.
Disparition des cirques familiaux mais aussi des attractions type femme à barbe et homme canon à 5 jambes. Un mal pour un bien…
1962 : Premier chapiteau d’État flanqué de son train aménagé avec cuisine, bureaux, eau potable et crèche pour les enfants des artistes. Indispensable puisque la troupe tourne 10 mois par an dans tout le pays !
Trompoloco, l’origine du nom d’un chapiteau
Témoignage de cette époque : quelques tendres images du clown Trompoloco, Edwin Fernández (1928 – 1997) pour l’état civil. Comédien de théâtre et de télévision, il avait partagé la vie du cirque en tournée pendant toute une saison ! Aimé, chéri, regretté de tous au point qu’on a donné son nom au grand chapiteau du Circo Nacional !
Le festival Circuba, né en 1981, s’est interrompu de 1991 à 2006 pour raison – on le suppose – de pénurie de tout et surtout de carburant. Ce même carburant qui en Europe, dans les années 70, a été une des causes de la chute du cirque traditionnel et… de l’apparition du nouveau cirque !
Les échanges avec Moscou, Pyongyang ou Monte Carlo ont cependant permis aux artistes Cubains de belles récoltes de médailles dans les concours internationaux !
2002 : première représentation du Circo Nacional de Cuba au Teatro Nacional.
2005 : inauguration du premier chapiteau Trompoloco avec le spectacle Ritmo, Color y Fantasía. La suite – dans une esthétique assez éloignée de celle du nouveau cirque européen, vous l’aurez compris – est à déguster en direct !
Cependant pour ceux qui ne feraient pas le voyage, voici un lien vers l’album photo de Circuba 2015 sur la page Cuba What’s On. Attention les yeux !
Voir les articles avec le mot-clé « cirque » :
Circuba 2015 : on the road again !
Circo Santos y Artigas : trio tragique au trapèze
Et demain ?
Dans un ciné désaffecté de la périphérie de La Havane, des enfants s’entraînent sous le regard bienveillant d’Odelmi Hernández, qui fut clown. Ensemble, ils poursuivent le rêve de très nombreux gamin.es de par le monde : vivre la vie du cirque !
Ici à Cuba ce rêve a aussi un aspect très terre à terre : un artiste qui se produit dans une tournée internationale peut gagner plus de 1000 $ par mois, une fortune ! Alors les élèves se projettent vers un horizon enchanté : l’Escuela Nacional de Circo de Cuba, un engagement sous la Carpa Trompoloco de La Havane ou – pourquoi pas – au Cirque du Soleil.
Bien que l’État cubain capte une partie de leurs cachets, ils savent que le cirque leur permettra d’exister en tant que personnes et en tant qu’artistes. En attendant, ils sont à bonne école de vie et de plaisir.
¹ « Je suis dans le spectacle n° 1, dirigé par m. Artigas, avec les Loretta. Le n° 2 est dirigé par m. Santos, assisté de Frank Longbottom. Parmi les nombreux numéros venus de Ringling Bros. et de Barnum & Bailey Circus, il y a la la famille de cavaliers Hanneford, ainsi que les Loretta et moi-même, du John Robinson Show. Notre spectacle a terminé sa saison à La Havane le 6 janvier puis nous avons fait une tournée de 6 semaines, dans 20 voitures et 4 wagons-lits avec douche. Les artistes américains sont autorisés à loger dans ces wagons-lit, car la plupart d’entre nous n’aimons pas la cuisine cubaine… »
Sources :
Articles du Billboard, June 15, 1918, Binghamton Press (Binghamton, NY), February 16, 1949 et Oakland Tribune (Oakland, CA), February 16, 1949 compilés sur le site de la Circus Historical Society (voir pages R comme Razzore et S comme Santos y Artigas), une mine inépuisable !
El Gran Circo Popular Cubano Santos y Artigas sur le site Circo Meliès.
Article Nuestra Historia sur le site du Circo Nacional de Cuba
Article de Ramon Diaz circos y teatro de carpa en Cuba, qui vous dit tout sur les grandes familles et les entrepreneurs de cirque à Cuba.
Trabajar en el circo, un sueño para los niños en Cuba, article non signé trouvé sur le site notimerica, avec des photos d’Alexandre Meneghini (Reuters).
Photo à la Une : la Carpa Trompoloco aux confins du quartier de Miramar, La Havane 2015.
Premier rappel : note sur les payasos
Les clowns à Cuba ont leur concours annuel : le Concurso Nacional de Payasos Edwin Fernández In Memoriam et… une spécialité peu développée en France, l’animation de matinées enfantines. Mais n’est pas Trompoloco qui veut… Petite expérience personnelle d’un dimanche matin à La Havane : Dans un registre de farce volontiers scatologique, les clowns font hurler de rire les petits enfants en ridiculisant leurs parents. De tels divertissements sont courants le dimanche et pendant les vacances dans les musées, les cinémas et les théâtres.
Hola
je n’ai pas encore fini de lire votre site mais je suis curieuse de continuer à le lire.
Cubaine résidente en France depuis 10 ans, avec la chance de pouvoir me rendre sur place chaque année;
Comment je peux vous contacter autrement?
Cordialement
Gisela
Hola Gisela,
Merci pour votre commentaire !
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Je suis toujours intéressée par les avis des Cubains sur mes articles – car s’il est vrai que j’ai beaucoup d’amour pour ce peuple, je ne le connais pas encore très bien – alors n’hésitez pas !
Saludos !
Céline