graphisme & design

Aujourd’hui les designers formés à l’Instituto Superior de Diseño de La Havane – spécialité communication visuelle – s’appellent Nelson Ponce, Giselle Monzón, Raúl Valdés (Raupa) ou encore Pepe Menéndez pour les plus connus… et ils travaillent et enseignent dans le monde entier.

Giselle Monzon, affiche du film "José Marti, el ojo del canario " de Fernando Perez 2010 - droits réservés
Giselle Monzon, affiche du film « José Marti, el ojo del canario  » de Fernando Perez 2010 – droits réservés

Du côté du design industriel, ça foisonne également. Et n’allez pas croire que le talent de cette nouvelle génération se limite à dessiner des boîtes de cigares…

Annick et Yannick Woungly-Massaga,  designers installées en Suisse, ont fondé le projet Geo-Graficas pour fédérer cette diaspora et promouvoir le travail de chacun, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Île. Leur site geo-graficas est très bien fait, je vous laisse voir !

Edel Rodriguez est un cas à part : bien que cubain il a été formé entièrement aux États-Unis et malgré cela il est – d’après moi – un des plus fidèles à l’esthétique de ses aînés. Il présentait récemment une rétrospective à la Casa de las Americas, intitulée Nature Boy, du nom du bateau sur lequel il a quitté Cuba au moment de l’exode de Mariel. L’affiche dit tout de l’expérience…

Edel Rodriguez, affiche de l'exposition Nature Boy 2014- droits réservés
Edel Rodriguez, affiche de l’exposition Nature Boy 2014- droits réservés

Dans un registre plus léger, voyez aussi l’article Branchés croqués : Edel Rodriguez.

Mais pour comprendre pourquoi une si petite île a produit tant de merveilleux designers, il faut revenir un peu en arrière :

Au cours du XXe siècle, différentes tendances ont émergé dans les arts visuels cubains comme partout ailleurs : abstraction, photoréalisme, néo expressionisme, conceptualisme, puis performance, installation et vidéo-art… sans perdre de vue les thèmes et figures issus des cultures afro-cubaines. Mais le mouvement du design graphique se distingue entre tous au point qu’on peut même parler d’École Cubaine.

Les institutions mises en place par le gouvernement dès 1959 jouent certainement un rôle dans la mesure où elles se sont fixé pour tâche le développement et la démocratisation de la culture. Remarquez la concordance de dates avec la politique culturelle française¹ – et la différence de méthodes !


La peinture est une recherche, elle ne s’occupe pas de la révolution et de son processus dynamique. J’avais besoin de quelque chose de direct et je commençai à faire des affiches et du design de livres. […] Je considère que le design est l’art de notre époque.
Raúl Martinez


L’ICAIC fait dès 1959 un choix radical concernant les affiches de cinéma : plutôt que d’utiliser le matériel publicitaire importé avec les films, l’institution commande des affiches aux meilleurs dessinateurs du moment, pour qu’ils expriment le concept central de l’œuvre en une image choc, sans référence au star system. La technique de la sérigraphie permet de les reproduire à peu de frais. Car oui, qui dit démocratisation se pose rapidement la question de la reproductibilité des œuvres et de leur circulation…

Au delà de leur premier usage, ces affiches connaissent une carrière internationale et sont collectionnées dans le monde entier. Détail de charme : en 2015 elles sont toujours sérigraphiées, ce qui leur confère un caractère unique que n’atteindrait jamais une reproduction sortant d’une imprimerie offset ! Détail personnel : c’est ainsi qu’un beau Portocarrero orne mon modeste séjour.

Soy Cuba, film de film de Mikhail Kalatozov, 1964, affiche de René Portocarrero - droits réservés
Soy Cuba, film de film de Mikhail Kalatozov, 1964, affiche de René Portocarrero – droits réservés

D’autres institutions participent au développement des arts graphiques : La Casa de las Americas (fondée par Haydée Santamaria, héroïne de la Révolution) lance un concours de gravure dès 1963… et apporte un soin tout particulier au graphisme de ses publications. Le Museo Nacional de Bellas Artes développe les collections d’art cubain contemporain (gravures de Lesbia Vent Dumois, sérigraphies de Frémez)…

La Habana, mosaïque d'Amelia Peláez sur les trottoirs de la Rampa
La Habana, mosaïque d’Amelia Peláez sur les trottoirs de la Rampa

L’Union Internationale des Architectes tient congrès à La havane en 1963 : à cette occasion on construit le Pabellon Cuba sur la Rampa et on commande des… dalles de trottoir à des artistes renommés. Et oui, elles y sont toujours ! Vous marchez sur le travail de Wifredo Lam, Amelia Peláez, René Portocarrero ou Sandú Darié en allant au cinéma ou chez Coppelia. L’art et la vie !

Salon de Mayo, Wifredo Lam devant la fresque du Pabellon Cuba, 1967.

En 1967 ce même Pabellon Cuba accueille le Salon de Mayo, transféré de Paris à La Havane par la grâce de Wifredo Lam. Artistes, critiques et curateurs, tout le monde se met jusque tard dans la nuit à l’immense mural réalisé pour l’occasion. On y décèle déjà ce qui sera l’esthétique des arts graphiques des années 70, entre psychédélisme et engagement politique.

Raúl Martinez, peintre et designer, développe à cette époque une version cubaine du pop art, dans ses toiles et ses affiches.

Lucia, film de Humberto Solas, 1968, affiche de Raul Martinez - droits réservés
Lucia, film de Humberto Solas, 1968, affiche de Raul Martinez – droits réservés

Eduardo Muñoz Bachs produit des affiches inoubliables, notamment pour le projet Ciné Móvil de l’ICAIC (un petit ciné qui parcourt la campagne) dont le logo devient une figure de Charlie Chaplin montée sur roulettes. Trois traits noirs, deux touches roses sur fond blanc : le message est passé. Magistral.

Esthétique totalement différente pour René Azcuy qui utilise des agrandissements de photos hypercontrastées qu’il tache de rouge sang ou rouge baiser… pour faire passer des idées fortes.

Baisers volés, film de François Truffaut, 1968, affiche de René Azcuy - droits réservés
Baisers volés, film de François Truffaut, 1968, affiche de René Azcuy – droits réservés

L’État lui-même continue à faire appel à des artistes pour poser son empreinte dans l’espace public ; l’exemple le plus connu étant un certain mural d’Enrique Ávila qui transfigure depuis 1993 la Plaza de la Revolución…

La Havane, Che Guevara et Camilo Cienfuegos rivalisent avec l'éclairage public à la sortie du Teatro Nacional 2015
La Havane, Che Guevara et Camilo Cienfuegos rivalisent avec l’éclairage public à la sortie du Teatro Nacional 2015

Mais il n’est plus le seul commanditaire alors il faut se tenir au courant ! Ci-dessous quelques sites et blogs passionnants :

Geo-graficas, Dugudus, Red Ink – cuban graphic design, CACa (club de amigos del cartel !), Clandestina, 99% diseño cubano etc…

Voir tous les contenus design sur serendipia-cc.com.


Photo à la Une : Affiche de Raul Martinez pour le fim de Humberto Solas : Lucia, avec Adela Legra (1968).

¹ 1959 : création du premier ministère des Affaires Culturelles, confié à un certain André Malraux.

² Goldman, Shifra, «Painters into Poster Makers», Studies in Latin American Popular Culture, 3, 1984, p. 167.

Cette page doit beaucoup à un article de Adelaida de Juan dont voici les coordonnées complètes : Estudos Avançados – Half a century of visual arts in Cuba JUAN, Adelaida de. Half a century of visual arts in Cuba. Estud. av. [online]. 2011, vol.25, n.72 [cited  2015-07-29], pp. 197-216 . Available from: <http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0103-40142011000200016&lng=en&nrm=iso>. ISSN 0103-4014.  http://dx.doi.org/10.1590/S0103-40142011000200016.
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