Amelia Peláez n’habite plus ici

Parfois pousser la porte d’une maison abandonnée – en apparence – peut vous plonger dans une profonde tristesse… Voici le portrait de cette maison dans laquelle Amelia Peláez a vécu presque toute sa vie.

Commençons par deux images avant / après, pour un raccourci radical de ce qui a pu se passer dans la maison depuis la mort de l’artiste en 1968 :

Amelia Peláez dans sa maison de La Vibora. Date et auteur inconnus.
Amelia Peláez dans sa maison de La Vibora. Date et auteur inconnus.
Maison d'Amelia Peláez, octobre 2016.
Maison d’Amelia Peláez, octobre 2016.

Un jour j’essaierai d’élucider un ou deux mystères au sujet de la vie de cette femme : par exemple pourquoi les biographes n’abordent jamais le chapitre de sa vie amoureuse, pourquoi elle est toujours la seule femme sur les photos de groupe des années 40, pourquoi, pourquoi ce silence alors même que le personnage est populaire au point d’être appelé publiquement par son prénom : Amelia ?

Casa de Casa de Amelia Peláez - octobre 2016
Casa de Casa de Amelia Peláez – octobre 2016

Mais aujourd’hui concentrons-nous sur la maison : La famille, aisée, y emménage en 1915 pour que la jeune Amelia puisse étudier la peinture. De 1927 à 1934 elle la quitte pour Paris, mais à son retour elle s’y réinstalle définitivement. Dans les années 40, 50, cette maison a reçu la visite de José Lezama Lima, des intellectuels du groupe Orígenes… elle a connu une vie sociale intense et avec les années ses murs se sont couverts de tableaux.


Amelia
(…) Esos colores ciegan, no los mires
son colores que rugen en la noche, no los oigas (…)
Nicolás Guillén¹


Dans les années 60, Amelia ne s’en éloigne que pour enseigner aux cours du soir, pour travailler dans son atelier de céramique ou répondre à quelques commandes. Elle y peint des natures mortes où le trait noir qui cerne les aplats de couleur se fait de plus en plus épais, évoquant des grilles de fer forgé derrière lesquelles les fruits, les palmes et les mediopuntos sont de plus en plus prisonniers.

Amelia Peláez, sans titre, 1967
Amelia Peláez, sans titre, 1967

1968 : rideau. Amelia disparaît, la famille est toujours plus ou moins là mais le lieu sombre dans l’oubli. De nombreux documents et films témoignent jusque dans les années 90 d’une opulence préservée.


Pour vous en convaincre, voyez les photos de César Gómez López, datées de 1998, en commentaires en bas de cet article !


En tous cas, la maison n’a jamais été transformée en edificio multifamiliar, initiative respectable socialement mais qui signe souvent l’arrêt de mort des bâtiments les plus robustes…

Me voici donc un matin d’octobre 2016 à frapper à la porte de ce qui semble une ruine inhabitée. Surprise, on ouvre. Double surprise, car le monsieur est surpris de la visite et moi j’ai du mal à croire que personne ne s’intéresse à ce lieu depuis tant d’années…

Les énormes espaces sont vides ou presque. À peine un déambulateur dans un coin, quelques matelas, un égouttoir à vaisselle made in China dans la cuisine coloniale, une baignoire ancienne et des seaux pour la remplir, une perruche dans sa cage, un fauteuil de rotin épuisé, celui-là même qui a été photographié tant de fois. Et, au détour d’un couloir, la vision furtive d’une frêle vieille dame assoupie. C’est la petite nièce d’Amelia me dit le couple de gardiens qui me fait visiter.

Le tout est baigné d’une belle lumière malgré les persiennes closes. Les murs portant la marque des tableaux manquants, les sublimes carreaux de ciment polychrome, le dessin délicat des portes et des grilles, les hautes fenêtres… tout évoque encore l’univers pictural d’Amelia. Car la maison n’a jamais été vandalisée, non, mais elle a été vidée peu à peu. On sait que le Museo Nacional de Bellas Artes a récupéré pas mal de toiles. Et pour le reste ? Quand, par qui ? Mystère.

À vrai dire, la vision de la vieille dame de 42 kilos étendue sur son lit m’évoque aussi une situation effrayante décrite par Leonardo Padura dans son roman Les Brumes du Passé² : une splendeur coloniale exsangue hantée par ses propriétaires crevant de faim…

Je me dis que l’histoire de cette maison, de cette famille, est sans doute reproduite à des milliers d’exemplaires sur l’Île. Ruminant cette sombre pensée, je termine ma visite par un petit tour dans le jardin qui n’a plus la luxuriance d’antan, suivi d’un détour par l’atelier de céramique de la rue voisine. Mais là, j’ai trouvé porte close.

Casa de Amelia Peláez - jardin 2016
Casa de Amelia Peláez – jardin 2016
Amelia Peláez pintando en su jardin, image d'archive.
Amelia Peláez pintando en su jardin, image d’archive.

Cette maison a été déclarée Monument National le 30 décembre 1991. En manque d’idées pour l’avenir ? J’en ai plein ! De la résidence d’artistes au magasin d’antiquités en passant par l’atelier de céramique pour vendre aux touristes, n’importe quoi plutôt que rien. Mais vite !


¹ Ces couleurs aveuglent, ne les regarde pas.
Ce sont des couleurs qui rugissent dans la nuit, ne les écoute pas.
Extrait de Amelia, Nicolás Guillén.

² Ed. Métailié, 2009. Traduction Elena Zayas. Titre original Las Nieblinas de Ayer, Cuba 2005.

Pour cette virée dans le quartier périphérique de La Vibora, où je craignais de me perdre, j’étais accompagnée de Yasmin, guide francophone de la petite agence Havaname. Merci !


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3 réflexions sur « Amelia Peláez n’habite plus ici »

  1. Amargura….. le mot anti robot est on ne peut plus approprié.. Parce que justement cela me plonge plus dans l’amertume que dans la tristesse, ce jeu de massacre en toute impunité et qui dure, qui dure….. Quelle oeuvre magnifique… Un musée oui, mais surtout pas un paladar de plus, encore et toujours pour les touristes. Merci pour cet article sensible même s’il me plonge dans l’amargura….

  2. Duele en el alma ver la realidad de 2016, en ésta casa de puntal alto y luminosa, de la Calle Estrada Palma de Santos Suárez, cuando mi recuerdo era otro diametralmente opuesto, la última vez en 1998 ( https://www.flickr.com/photos/98774212@N07/albums/72157677664428656 ) … Allí conversé ampliamente con Nenita Peláez, y allí me invitó a acudir a la gran retrospectiva sobre Amelia en el Palacio de Bellas Artes… ¿Cómo imaginar esas paredes desnudas?. . Duele.
    Espero que pronto llegue una salida digna para evitar la peor de las pérdidas, que es el olvido. Amelia siempre estará en su obra, pero, no sería mejor también acercarnos a su vida más íntima y familiar en ésta hermosa casa?
    Éso, que sea rápido.

  3. « la peor de las pérdidas, que es el olvido » Vous avez raison !
    Y muchissiams gracias por el link y las fotografías !

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