Avec la timide ouverture au marché, on la croyait en voie d’extinction, mais pas du tout : la fabricación criolla, version cubaine de nos « fait maison » ou « do it yourself », est plus vivante que jamais.
Pas vraiment traduisible, la notion de fabricación criolla englobe la nécessité de fabriquer des objets introuvables, de remplacer des pièces défectueuses ou d’inventer de nouveaux usages à des objets obsolètes.
Débrouillardise ? Certes, et mieux encore : créativité ! D’ailleurs, ne dit-on pas « inventar » pour signifier « trouver une solution » ? Parfois même s’y mêle un soupçon d’interdit. En effet, il se murmure que certains objets en plastique sont fabriqués à partir de poubelles dérobées et refondues dans des ateliers, disons… non officiels…
Area de trabajadores por cuenta propia
Dans ces marchés qui fleurissent en province comme à la capitale, les cuentapropistas proposent deux types de produits : les importations et les fabrications locales en petite série, donc criollas. Vous les reconnaîtrez très facilement ! Une ambiance de Bon Marché ou de Samaritaine flotte dans l’air, sauf que la bande son c’est du reggaeton.
Une mention spéciale pour le papá qui a fabriqué des moules pour que les fistons du quartier puissent jouer avec des camions en plastique. Vu le temps passé, la marge commerciale doit être bien mince…
Les manèges
Vous serez sans doute surpris de voir des manèges pour enfants actionnés à la main… Mais ils sont très courants sur les places et les rues lors des fêtes de carnaval. La version supérieure du manège bénéficie parfois d’un moteur bricolé à partir d’une… machine à laver ! Programme court sans essorage pour les chers petits.
Tout est bon dans la lavadora Aurika
Noms de rue, prénoms en Y, vaisselle et héros de l’ex Union Soviétique sont encore très présents à Cuba. Mais la championne toutes catégories c’est la machine à laver Aurika.
Elle a débarqué au milieu des années 70, époque où la tactique de l’obsolescence programmée n’avait pas encore ravagé les habitudes de consommation de la terre entière. Tout comme les costumes Mao de Chine, les appareils électroménagers de l’URSS étaient conçus pour servir 30 ans.
Certes la plupart des foyers cubains se sont rééquipés depuis, mais n’allez pas croire que la Aurika a disparu ! Vous retrouvez son moteur dans le manège cité plus haut, sur un ventilateur, une tondeuse à gazon ou que sais-je encore.
Quant au couvercle, direction la cuisine où il fera un beau plateau. Et la cuve ? Ah, la cuve : congélateur, bac à fleurs ou tabouret, les usages sont innombrables.
J’invente donc je suis
Du plateau de cantine transformé en antenne TV au vélo devenu mobylette, de la roue de camion transformée en siège de coiffeur à la bouteille plastique devenue seau à glace… Ouvrez l’œil !
Mais ne vous méprenez pas : cette démarche « zéro déchet » est plutôt subie par la plupart des Cubains qui rêvent de produits de marque, comme nous. On verra bien…
À lire : La lavadora rusa, article de Arturo Chang dans Cubahora.
Voyez aussi le site d’Ernesto Oroza, artiste cubain qui s’intéresse de près au phénomène.
Photo à la Une : manège pour enfants fabriqué à partir de dauphins en plastique et d’une structure de récupération (Santa CLara, 2015). Il est actionné à la main. Plus fabricación criolla y a pas.