Urbanisme : La Havane d’hier c’est déjà demain

Vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressemblerait La Havane dans quelques années ? Combien d’immeubles ne pourraient pas être récupérés et où iraient leurs habitants ? Quel serait l’effet du boom touristique combiné à la fragilité des infrastructures ?… Nourrissez-vous des pensées inavouables sur la beauté des ruines et la laideur du préfabriqué ? Et enfin, vous êtes-vous demandé avec quels moyens de nombreux bâtiments ont déjà retrouvé leur beauté délicate ?

C’est que la visite du président Obama, le tournage de Fast and Furious, le défilé Chanel et celui des Kardashian ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui impacte fortement un environnement urbain… à bout de souffle.

Réhabilitation : le Plan Maestro

La Havane accueillait récemment la 14e conférence sur la gestion des centres historiques où plus de 150 experts débattaient des nouveaux défis pour la capitale Cubaine. À cette occasion, Maya Quiroga Paneque interrogeait pour le site Cuban Art News Patricia Rodríguez Alomá, responsable du Plan Maestro. Des éclaircissements bien utiles pour commencer à répondre à toutes ces questions.

Le Maître Plan a été créé par le bureau de l’Historiador de la Ciudad, l’incontournable Eusebio Leal, pour coordonner le développement (euphémisme) de la Habana Vieja et des zones prioritaires comme le Malecon ou Chinatown…

La Havane : on joue aux dominos dans la callle Leonor Pérez récemment réhabilitée, 31 décembre 2015.
La Havane : on joue aux dominos dans la callle Leonor Pérez récemment réhabilitée, 31 décembre 2015.

Il mobilise une équipe pluridsiciplinaire composée d’architectes bien sûr mais aussi d’urbanistes, sociologues, historiens, géographes, ingénieurs du bâtiment ou des ponts et chaussées, spécialistes d’environnement, cartographes… qui travaillent avec tous types d’organisations gouvernementales ou non, désireuses de participer au sauvetage de la ville d’hier et/ou à l’érection de celle de demain.

Tout sur Habaguanex

Mais avec quel argent tout ça ? C’est là qu’une modeste (en apparence) agence de tourisme entre en jeu ! L’Historiador de la Ciudad a été autorisé à créer un business de tourisme / hôtellerie / restauration / immobilier pour générer des bénéfices en monnaie forte, autrement dit en dollars, immédiatement réinvestis dans les travaux. L’agence Habaguanex et ses consœurs San Cristobal, etc. y jouent un rôle prépondérant. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Patricia Rodríguez Alomá. Et elle continue :


« L’État nous a autorisés à créer une économie locale, de sorte que les CUC soient consacrés à la réhabilitation du quartier et il apporte sa contribution en monnaie nationale. »


Si vous ne connaissez pas le système des deux monnaies (convertible ou CUC et monnaie nationale ou CUP) il est conseillé de consulter la page CUP & CUC avant de poursuivre votre lecture. Bien entendu cette situation ne soulève pas seulement des questions de monnaie…  et je vous laisse apprécier ce paradoxe qui n’est pas un cas unique sur l’Île.

Sur l’Île justement, d’autres villes constituent petit à petit le réseau des cités patrimoniales à préserver : Cienfuegos, Trinidad, Camagüey, Santiago de Cuba, Bayamo… seront bientôt rejointes par Sancti Spiritus, Remedios et Baracoa puis Gibara et Matanzas.

La Havane, Edificio Giron sur le Malecon, en attente d'intervention sur la structure, 2010.
La Havane, Edificio Giron sur le Malecon, en attente d’intervention sur la structure, 2010.

Pendant ce temps, à La Havane, la lucha continue et gouvernement cubain mandate l’Officina del Historiador de la Ciudad de La Habana pour intervenir sur tous les sites représentant un héritage historique et culturel, au delà du centre ville. C’est le cas de la Necropolis de Colon, qui avait bien besoin de travaux de réhabilitation. On peut désormais apprécier le travail lors de la visite (payante) ! La Aula Magna de la faculté de droit, l’ISA et la Quinta de los Molinos en ont bénéficié aussi.

Une stratégie territoriale qui atteint aujourd’hui les quartiers et infrastructures plus récents, nécessitant d’autres technologies : Les maisons de l’ère coloniale avec leurs patios, murs de maçonnerie, charpentes de bois, dallages et tuiles, ne demandent pas le même traitement que les bâtiments de la période républicaine qui incorporent l’acier et le béton armé…

Quant au Malecón, battu par les vents du nord, l’urgence y est à la consolidation de l’infrastructure rongée par le sel, sous peine d’affaissement de la route et des trottoirs les plus empruntés et photographiés de La Havane.

La Havane, le Malecon : les vagues, le sel, le salpêtre et le couchant, une beauté fragile. Octobre 2015
La Havane, le Malecon : les vagues, le sel, le salpêtre et le couchant, une beauté fragile. Octobre 2015

Des plans d’avenir

Après plus de 20 ans d’activité, quelles sont les perspectives d’avenir Du Plan Maestro ? Les projets participatifs ! Les initiatives individuelles sont invitées à se développer à l’intérieur  du plan général pour œuvrer à sa valorisation. Et surtout, à son appropriation par la population. Une alliance stratégique et nécessaire.

Un exemple ? Arte Corte, une initiative de Papito, coiffeur de son état. Il développe son activité dans une ruelle de Habana Vieja et entraîne tout le quartier dans une démarche de développement économique. L’Officina del Historiador réhabilite un immeuble et il y ouvre une école pour coiffeurs et barbiers. Les restaurants éclosent dans la ruelle et les CUC affluent. Est-ce de la gentryfication ? Sans doute, mais aux dernières nouvelles les habitants sont toujours là. Et le cas n’est pas unique ! La légitimité de boutiques-galeries comme La Marca ou Clandestina est assurée par cette interaction avec l’Historiador et les riverains.

On  teste même dans le quartier de la Cathédrale (particulièrement pauvre bien que très touristique) le « budget participatif » qui est une forme de subvention  inversée ou crowdsourcing matériel : les riverains choisissent ce qu’ils vont financer eux-mêmes, que ce soit un lampadaire, des fournitures pour l’école ou la réparation du terrain de sports. Patricia Rodríguez Alomá précise que cela n’a rien de démagogique mais que cela encourage les citoyens à adopter une attitude proactive après des décades de paternalisme (sic).

La Havane, parole de riverains : "merci d'éliminer les nids de poule et les flaques, c'est pas du patrimoine". Novembre 2015.
La Havane, parole de riverains : « merci d’éliminer les nids de poule et les flaques, c’est pas du patrimoine ». Novembre 2015.

Publications

Plusieurs publications conservent la mémoire de ce travail de longue haleine qui permettra de retrouver La Havane d’autrefois et de se projeter dans le futur. Una experiencia singular (2006), édité avec l’UNESCO, contient un historique du développement de la cité et témoigne des 10 premières années du Plan. 250 pages, des cartes, bilingue espagnol-anglais et vous pouvez le consulter gratuitement en cliquant sur ce lien (le PDF va être un peu long à s’ouvrir mais patience, on est à Cuba).

Luces y simientes (2012) documente le travail réalisé dans les autres villes. Sautez directement aux pages 127 pour Santiago de Cuba, 201 pour Camagüey, 275 pour Trinidad et enfin 341 pour Cienfuegos. Para no olvidar (Ediciones Boloña, 2001, 2006 et 2010) se présente comme un album de photos avant-après et Patrimonio y ciudadanía, Experiencias de participación en La Habana Vieja (2014) détaille une vingtaine de projets récents impliquant les citoyens de la Havane.

De quoi changer notre regard lors de nos promenades au fil des rues…


D’après un article de Maya Quiroga Paneque en conversation avec Patricia Rodríguez Alomá : Urbanism, Preservation, and Planning Ahead in Habana Vieja dans Cuban Art News.

Photo à la Une : pendant les travaux, les shootings continuent Plaza de la Catedral dans la Habana Vieja (novembre 2015).

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