La Marca : nom bien trouvé pour une initiative collective qui depuis une petite boutique de la vieille ville a déjà contribué à modifier l’atmosphère du quartier et fait parler d’elle dans la presse internationale. Car fait inattendu, le renouveau tant espéré arriverait de l’intérieur, porté par un groupe d’artistes s’adonnant à une pratique plutôt « mauvais genre » : le tatouage.
Mais pas seulement, car depuis janvier 2015 la joyeuse équipe qui anime ce lieu propose aussi des expositions, des ventes de séries limitées (sérigraphies, textiles, livres-objets…) et des concerts qui débordent sur le trottoir – ce qui n’a rien d’exceptionnel à Cuba !
On observe dans ce petit rez-de-chaussée un va-et-vient constant entre ceux qui sont attirés par les expos, les clients venus consulter les catalogues de motifs pour leur prochain tattoo, les amis et les habitants du quartier.
Parmi ces derniers, beaucoup d’enfants qui participent aux ateliers et animations proposés¹. Eux qui vivent derrière ces façade si photogéniques dans des appartements sans eau courante… se retrouvent à fabriquer des jouets avec des matériaux de récupération ou encore à customiser des skateboards, quand ils ne sont pas tout simplement assis par terre dans la galerie, devant un bon film projeté directement sur le mur.
Je lis ici et là que c’est sans doute cette polyvalence qui vaut à l’équipe de La Marca d’être épargnée par les contrôles qui ont obligé bien des salons de tatouage à fermer récemment, avec confiscation du matériel et lourde amende à la clef.
En effet l’exercice de l’art corporel n’est pas vraiment légal à Cuba : Le métier de tatoueur ne figure pas sur la liste officielle des cuentapropistas et celui de galeriste non plus car les autorités ne voient pas d’un très bon œil le développement d’espaces indépendants. En revanche un artiste peut posséder un atelier et l’ouvrir au public… C’est donc sur cette ambigüité que tout se joue pour l’instant, dans l’attente d’une reconnaissance officielle.
Pourtant le tatouage est une longue tradition sur l’Île, des livres et essais ont été écrits sur ce sujet², les exemples abondent dans l’espace public, sur les jeunes comme les vieux, les dames comme les messieurs. Il y a donc tous les jours des centaines de personnes qui enfreignent la loi pour se livrer à leur passion ! C’est même une pratique qui se développe énormément et gagne toutes les couches de la société et j’y consacrerai un article prochainement…
Le jour de mon passage j’ai été accueillie par Dione (aux relations publiques), Robertiko Ramos (designer et collaborateur régulier du Teatro El Publico, on lui doit notamment les costumes d’Antigonon) et Mauro Coca, le plus jeune des trois tatoueurs du lieu. Mais l’équipe compte aussi avec Ailed Duarte (coordinatrice) et son mari Léo Canosa (plus de 20 ans de pratique), Martamar77 (community manager), David (tatoueur) et bien d’autres… Apparemment le fonctionnement en collectif les fait bien marrer, ils ont même exposé un tableau façon « meilleur ouvrier du mois » en référence sans doute à leurs expériences de pioneritos…
Est-il besoin de préciser que le salon de tatouage (à l’étage) est d’une hygiène irréprochable, que tous les instruments sont neufs et importés³, de même que les encres ? Et que l’accueil est super amical et chaleureux ? Pour y faire un tour : La Marca, calle Obrapia, pratiquement dans l’ombre de la cathédrale.
Pour quelques souvenirs des expos Dulce Dolor ou Martires del asfalto une petite visite à la page FB s’impose. Quant à mon expérience perso, elle est visible là. Vous sautez le pas ? merci de passer le bonjour de ma part et n’hésitez pas à envoyer une photo à publier dans cet article !
¹ Avec la bénédiction de l’Historiador de la Ciudad alias Eusebio Leal Spengler, aux commandes de la réhabilitation de cette partie de la capitale, sur laquelle on mise beaucoup pour développer le tourisme.
² “En Cuba, el tatuaje es una antigua tradición cuyo origen parece remontarse a las antiguas escarificaciones de los esclavos africanos traídos a la isla, en diálogo fecundo con la tinta de los culíes chinos” Margarita Mateo, De la piel y la memoria, disponible à la librairie Fayad Jamis, juste en face de La Marca.
³ des USA et du Canada, à l’occasion des voyages des uns et des autres.
Plus d’infos dans les articles de Camilo García : ¿ Prohibido tatuarse ? dans Oncubamagazine et La Piel como Lienzo de Naty Gabriela Gonzalez dans Havana Times.
Photo à la Une : La Marca, galerie et salon de tatouage, encres fraîches, 2015