Danse : instantanés d’un festival

Heureux hasard de calendrier, j’étais à La Havane pour le début du 25e Festival Internacional de Ballet. Le gala d’ouverture est inaccessible au commun des mortels mais qu’à cela ne tienne, j’ai dégoté une place pour la deuxième soirée au Gran Teatro de La Habana, récemment ré-ouvert après travaux.

Me voici donc dans le Saint des Saints, non sans avoir remarqué que dans ce pays où la Culture Pour Tous est une affaire d’État, on n’hésite pas à faire entrer les invités par une porte réservée. Drôle de comité d’accueil… mais passons donc par la porte du Peuple. Et oui, c’est très beau. Le hall est immense et le marbre reluit, les havanais et les touristes sont sur leur trente-et-un, l’atmosphère est à la fête.

Gran Teatro de La Habana : un guichet à l'ancienne
Gran Teatro de La Habana : un guichet à l’ancienne

Malheureusement, à l’exception du monsieur adorable de la billetterie, le personnel semble avoir été recruté sur concours, à celui qui se la pètera le plus. Pourtant il n’y a pas vraiment de quoi, surtout du côté des toilettes qui sont aussi défaillantes que partout ailleurs dans la capitale…

Alicia fait sa traditionnelle entrée au balcon, suscitant les applaudissements nourris des Cubains et les interrogations des visiteurs. Who is this lady ? me demande mon voisin, un New-Yorkais distingué. Is she famous ?… La soirée débute enfin avec Un concierto en blanco y negro. Créé en 1952, le ballet accuse son âge et me fait penser à Suite en Blanc de serge Lifar. Le voisin pique du nez mais l’entrée en trombe d’Ashley Bouder et Joaquín de Luz, pour le duo Furiant, va le réveiller. Les danseurs s’amusent, la fille malmène ses pointes à plaisir et le public leur fait une ovation.

Après un trop court solo de Brooklyn Mack,  deux solistes du Ballet Nacional entrent en scène pour le pas de deux ultra codifié du Corsaire. J’avoue avoir quitté le navire à l’entr’acte, pour mettre le cap sur la Fábrica où se déroulait une soirée Halloween. J’ai donc raté La Fille mal Gardée, un ballet pantomime qui m’intriguait moins que le spectacle des teenagers de La Havane déguisés en Cruella.

El Ciervo Encantado, théâtre international de quartier !
El Ciervo Encantado, théâtre international de quartier !

Le lendemain, changement de décor : direction El Ciervo Encantado, où joue Dub Love de Cecilia Bengolea, François Chaignaud et Ana Pi (remplacée par Alex Malandrino). Parfaitement à sa place dans un festival de danse classique carribéen, Dub Love mixe audacieusement Sound system Jamaïcain et travail des pointes.

Dub love (les saluts) dans la salle du Ciervo Encantado
Dub love (les saluts) dans la salle du Ciervo Encantado

Cependant, en bavardant avec les dames qui attendent comme moi l’ouverture de la billetterie sous un soleil féroce, je me demande comment elles vont le prendre. Toutes contentes que le festival vienne enfin dans leur quartier excentré, elles me disent leur amour pour Las cuatro joyas del ballet cubano¹, lesquelles se produisaient dans les années 60 et 70… Dommage que je n’aie pas su les aborder à la sortie pour continuer la conversation.

Mais à part ça c’était mon jour de chance : en allant au spectacle je suis tombée sur le studio Acosta Danza, flambant neuf et ouvert sur la rue comme pour dire Ici l’on danse ! Ensuite j’ai trouvé DEUX gros paquets de café Cubita au supermercado du coin (j’en sirote en écrivant ces lignes) et enfin, en sortant du Ciervo Encantado, le hasard d’une rencontre a fait que j’ai été invitée à assister à une répétition de Danza Contemporanea de Cuba le lendemain matin.

Acosta Danza, récemment ouvert sur la calle Linea
Acosta Danza, récemment ouvert sur la calle Linea

Le siège de cette compagnie historique se trouve dans une aile du Teatro Nacional, presque dissimulé par la végétation tropicale qui l’enserre. Lorsque l’on passe par là, on entend les percussions qui accompagnent les classes et font vibrer le bâtiment et ça donne envie d’en savoir plus. Je pense à Alma Guillermoprieto et son livre Dancing with Cuba, qui révèle les débuts de la danse contemporaine à Cuba…

Danza Contemporanea de Cuba : un studio ouvert sur la végétation
Danza Contemporanea de Cuba : un studio ouvert sur la végétation

Aujourd’hui Danza Contemporanea est une compagnie nationale de répertoire contemporain qui a développé son identité en mixant techniques de danse moderne et afro-cubaine. Elle invite régulièrement des chorégraphes internationaux à créer pour l’ensemble de plus de 20 danseurs et tourne dans le monde entier mais rarement en France, on se demande bien pourquoi. Alors que des shows bourrés de clichés « à la cubana » tiennent l’affiche pendant des mois à Paris…

Nous sommes invités à gravir le petit escalier et à entrer dans le studio : pas immense, pas neuf non plus et à peine rafraîchi par deux ventilateurs. C’est la pause, l’ambiance est nonchalante et studieuse à la fois. La compagnie prépare un départ imminent pour une longue tournée, nous aurons donc la chance d’assister au filage de Reversible, créé pour DCC par la belgo-colombienne Annabelle Lopez Ochoa. Les danseurs et danseuses sont tous magnifiques, la compagnie est manifestement très soudée. Quant à la chorégraphie, je vous en dirai plus lorsque je l’aurai vue sur scène (je guette les calendriers de tournée et vous tiens au courant).

Danza Contemporanea de Cuba : répétitions de Reversible
Danza Contemporanea de Cuba : répétitions de Reversible

C’est ça aussi, un festival : au delà du programme affiché, il y a les échanges² entre danseurs, dans les studios. Telle étoile française passe prendre un cours chez Acosta, tel prof de la Martha Graham Company donne une classe ailleurs, tel chorégraphe en profite pour réviser l’œuvre qu’il a créée il y a des mois, les danseurs vont voir des spectacles (il y en avait plusieurs dans la salle pour Dub Love), bref le grand mix des esthétiques et pratiques opère tout autant en journée qu’en soirée.

Et puis la vie continue : Danza Contemporanea est en tournée en Allemagne et Suisse, bientôt à Monaco et sera au Royaume Uni début 2017.

Acosta Danza prépare sa saison d’automne à La Havane et Misty Copeland, la première femme afro-américaine à être élevée au rang de Principal dans une grande compagnie de ballet aux États-Unis, est en mission culturelle dans la capitale cubaine.

Misty Copeland à Acosta Danza. Photo Yuris Norido, droits réservés.
Misty Copeland à Acosta Danza. Photo Yuris Norido, droits réservés.

Une bonne occasion de rappeler que le Ballet Nacional de Cuba a été fondé par des danseurs de l’American Ballet Theatre !

À suivre…


¹ Loipa Araújo, Aurora Bosch, Josefina Méndez et Mirta Plá, les premières étoiles à avoir pris la relève d’Alicia Alonso.

² De tels échanges ont lieu en grande partie grâce à l’engagement des ambassades étrangères qui participent activement à la mobilité des équipes artistiques. L’enjeu n’est pas seulement économique mais aussi esthétique et social. Je remercie tout particulièrement Philippe Murcia, attaché culturel de l’Ambassade de France, qui m’a permis d’assister à la répétition de Danza Contemporanea de Cuba et à José Ernesto Gonzalez Mosquera pour son accueil !

Un concierto en blanco y negro : chor. José Parés, 1952. Mus. Joseph Haydn. Int. Ginett Moncho et le corps de ballet du BNC.

Furiant : chor. Justin Peck, 2012. Mus. Anton Dvořák. Int. Ashley Bouder et Joaquín de Luz.

Dub Love : chor. Cecilia Bengolea & François Chaignaud, 2014. Int. Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Alex Malandrino. Mus. reggae, dub, avec DJ Mathieu  Meno en live.

Reversible : chor. Annabelle Lopez Ochoa, 2015. Int. Danza Contemporanea de Cuba. Mus. Aaron Martin & The Machinefabriek, Jean-Claude Kerinec & Staff Elmeddah, Kroke, Scanner & Eric Vaarzon Morel. Interprètes : ils sont tous bons mais impossible de trouver leurs noms, dommage.

Photo à la Une : répétition de Danza Contemporanea de Cuba.


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