Le trio de tête de l’art contemporain, dans mon quartier à La Havane, c’est l’Ambassade de Norvège avec son voisin le studio Figueroa Vives, complété par la Galeria Villa Manuela.
Distribués autour du Parque Victor Hugo (l’auteur des Misérables est immensément populaire ici), ces trois lieux offrent un bon résumé des différentes façons de produire et exposer à Cuba : Villa Manuela, galerie officielle de l’UNEAC, occupe une jolie maison coloniale contigüe aux jardins de l’institution.
Le Studio FIgueroa Vives est un lieu privé parfois ouvert au public, un atelier-appartement au rez de chaussée d’une de ces résidences modernes légèrement décaties qui contribuent tellement au charme du Vedado.
Et l’ambassade scandinave ? Eh bien, c’est une ambassade, quoi. Mais comme beaucoup de ses consœurs elle joue un rôle important dans la production artistique, en offrant notamment des bourses et des espaces de visibilité aux artistes, comédiens et cinéastes cubains.
Les expositions présentées ici font partie de la section « collatérale » de la Biennale. Studio et ambassade proposent un accrochage foisonnant autour de la notion de « cabinet d’artiste ». Tandis que Villa Manuela se concentre sur quelques toiles récentes de Rocío García.
Sex on the walls
Tiens, du sexe ! Dans une esthétique qui m’évoque les cómics de la movida madrilène, les scènes mystérieuses avec des messieurs tout nus se répondent d’un mur à l’autre.
C’est vrai qu’à Cuba, pays où la pornographie est totalement interdite, peu d’artistes se risquent à représenter de près ou de loin la sexualité. Mais là on en a soudain plein les yeux et en grand format. Sujet à creuser pour la suite…
A Stone in a Shoe
Il faut un peu de temps pour trouver Estudio DNasco, sis dans une modeste maison de la calle Espada, dans cette zone grise entre Vedado et Centro Habana. Mais quelle belle découverte !
Elvia Rosa Castro, curatrice indépendante et tornade d’énergie positive, y expose un choix très personnel et hyper cohérent. Elle accueille les visiteurs et on parle longtemps, en switchant de l’anglais à l’espagnol, de tout et de rien, de la fonction décorative de l’art… et bien sûr de politique.
Sur les murs, je retrouve des artistes que je commence à connaître (Adonis Flores, Aimée García) et d’autres que je découvre. Luis Camnitzer, figure clé de l’art conceptuel latino-américain, a même écrit un joli petit livre pour l’occasion.
Note pour plus tard : lire tous ses essais sur l’art. Et suivre le travail d’Elvia, bien qu’elle œuvre surtout en Amérique du Nord. Après tout on ne vit que mille fois.
El Museo
En zigzagant dans les rues à la fois tristes, sales, belles, gaies et odorantes de Centro Habana, j’arrive au Museo Nacional de Bellas Artes, qui a réorganisé ses collections en plusieurs thématiques : Isla de Azúcar, Nada personal et El espejo de los enigmas, apuntes sobre la cubanía. Autrement dit, des regards rétrospectifs sur des étapes clé de la nation : l’industrie sucrière et son corollaire l’esclavagisme, le statut des personnes afro-descendantes sur l’Île et l’énigmatique « cubanité », faite de tant de migrations et assimilations.
Les galeries du rez de chaussée sont occupées par deux installations sonores : l’une, magistrale, de Carlos Garaicoa et l’autre dont j’ai oublié l’auteur. Elle laissera un souvenir impérissable au personnel de la cafétéria attenante : la sonnerie stridente d’un téléphone, certainement très pertinente dans le contexte de l’œuvre, les épuise littéralement du matin au soir.
À l’étage je passe un moment dans l’installation Un chino llega a Matanzas, de Susana Pilar Delahante. Ici c’est le silence et la poésie qui nous amènent à ralentir le rythme de notre visite, pour prendre le temps de lire ces messages, ces caresses de soie, adressés aux ancêtres venus de loin.
Plaza de la Revolucion
En fin de journée j’ai prévu de visiter l’atelier d’un antiquaire qui expose des artistes contemporains. Encore un bon plan transmis de bouche à oreille. Las, zéro bus, zéro taxi… alors le temps d’arriver à pied à Plaza de la Revolución, il est 18h02 et je trouve la maison vide et cadenassée. Encore un bon plan qui foire…
Mais tout n’est pas perdu car grâce aux réseaux sociaux j’ai appris que le prochain vernissage a lieu dans la même rue, à 20h. J’ai donc deux heures à tuer dans ce quartier totalement dénué de cafés, bars, terrasses, boutiques…
À moins que je ne pousse jusqu’au terminal des omnibus ? Ah là il y a bien des cafeterias, en CUP qui plus est, mais la bière est chaude et les toilettes pestilentielles. Et ces files d’attente en tous sens, c’est pas de l’art contemporain non plus…
Mais je passe un bon moment ici. La serveuse est adorable et son café passable. Un jeune touriste européen s’assied à côté et je le vois observer la vie qui va, avec les yeux que je devais avoir il y a dix ans, lors de mon premier séjour ici.
Ce moment de léger vague à l’âme ne vas pas durer, car la fête commence au siège de la compagnie de danse Los Hijos del Director. Installé dans deux hangars, à deux pas du siège de Danza Contemporanea, le chorégraphe George Céspedes a peut-être l’ambition de faire de son lieu de travail une plateforme de la vie nocturne et branchée, sur le mode Fabrica de Arte Cubano.
Il a bien raison et c’est bien parti ! Avec la musique de Yasek Manzano et Wichy de Vedado en toile de fond, le vernissage commence sagement et se finit en dance floor débridé.
Enfin je crois car je me suis éclipsée avant minuit. Et au croisement de la calle 23, un autobus s’est miraculeusement arrêté à mes pieds, pour me déposer en douceur, quelques minutes plus tard, au bord de l’océan. À demain…
Les expositions Isla de Azúcar, Nada personal et El espejo de los enigmas, apuntes sobre la cubanía au Museo Nacional de Bellas Artes sont visibles tout l’été jusqu’au 29 septembre.
Photo à la Une : Yasek Manzano et Wichy de Vedado, vernissage dans le studio de la compagnie de danse Los Hijos del Director, manifestation collatérale de la Biennale de La Havane 2019.