Chino ! China ! Un appel qu’on entend à chaque coin de rue. Il y a donc une présence chinoise à Cuba ? Oui ! Et d’ailleurs, tous les guides vous recommandent d’aller voir le Chinatown de La Havane. Mais quand on y songe, on se demande quand, comment et pourquoi des milliers de chinois ont quitté l’Empire Céleste et traversé plusieurs mers pour venir s’installer sur un confetti des Caraïbes… Renseignements pris, ce fut assez brutal.
Tout a commencé dans la Chine impériale de 1847 : 300 paysans chinois embarquaient sur la frégate Oquendo pour aller louer leur force de travail dans la lointaine Cuba, l’esprit plein du rêve d’échapper à la misère et le chapeau en bambou bien vissé sur la tête. On leur avait fait croire qu’ils reviendraient riches après leur contrat de 8 ans et qu’ils pourraient redémarrer une nouvelle vie avec leur famille restée à quai.
Presque 5 mois plus tard, les survivants de cette traversée éreintante posaient le pied à La Havane. C’était le début d’une longue coexistence pacifique, dont l’empreinte est toujours perceptible bien qu’elle ait failli se diluer jusqu’à disparaître. Ces premiers immigrants ont été suivis de milliers d’autres, souvent originaires de la province du Guangdong et importés par vagues jusqu’à la fin du XIXe siècle pour subvenir aux besoins des planteurs de canne à sucre. Ces derniers étaient à court de main d’œuvre en raison du début de la fin du trafic d’êtres humains entre l’Afrique et les Amériques. Autrement dit l’esclavage. Je vous avais prévenu : c’était brutal.
Pour la plupart de ces nouveaux arrivants, c’était un aller simple : à la fin de leur contrat ils étaient toujours aussi pauvres et ne pouvaient pas se payer le bateau du retour. Beaucoup d’entre eux restaient à travailler aux champs mais certains choisissaient de s’installer en ville, surtout à La Havane et à Matanzas.
Dès 1858, au coin de Zanja et Rayo, dans ce quartier populaire proche de la vieille ville, apparaissaient les premiers commerces chinois. Chung Leng (Luis Pérez désormais) ouvrait une petite cantine, bientôt suivi par beaucoup d’autres. Les Chinois commencèrent à se regrouper dans les rues Zanja, Dragones, San Nicolás et Rayo. Beignets, fritures, stands de fruits, épiceries et blanchisseries, commerces de soie, de poules vivantes et de poissons séchés, herboristeries, partageaient le terrain avec les fabriques de cigares : le Barrio Chino était né.
Vers 1860 une autre vague d’immigrants arriva de Californie, où beaucoup de chinois avaient été attirés par la fièvre de l’or de 1849. Chinois des provinces de Chine ou de Californie, ils présentaient une particularité qui devait avoir un énorme impact sur leur insertion dans la société déjà métissée de Cuba : ils étaient presque tous des hommes. Les unions mixtes devinrent donc monnaie courante.
C’est ce qui fait dire à l’écrivain Leonardo Padura (voir le lien vers son article en bas de page) que l’apport principal des chinois à Cuba est d’ordre génétique. C’est à dire qu’il est perceptible dans les traits de leurs descendants, presque toujours métissés avec du sang espagnol ou africain. Pour l’héritage culturel, c’est plus flou. Car une fois l’homme parti au travail, les enfants étaient élevés par leur mère dans la culture cubaine et beaucoup n’apprirent jamais ni la langue natale de Papi ni aucune des coutumes dans lesquelles il s’était construit.
Mais la culture résiste à tout et la vie de tous les jours s’organisait : Pour améliorer leurs conditions de vie, économiquement et culturellement, les Chinois de Cuba créèrent toutes sortes d’associations et sociétés, dont certaines existent encore aujourd’hui. C’étaient des regroupements basés sur les intérêts commerciaux, le patronyme (ceux qui portaient le même nom) ou l’origine (ceux qui venaient du même village) ou encore des sociétés d’entraide mutuelle qui allèrent jusqu’à fonder une maison de retraite, des journaux et un cimetière. Les Chinois bâtirent aussi des lieux de plaisir, le premier d’entre eux étant un théâtre de marionnettes. Il fut suivi de nombreux cabarets aux noms exotiques où la tradition de l’Opéra de Pékin survivait vaille que vaille…
L’épopée chinoise se poursuit en page 2 :