Un été cubain en Europe

La possibilité d’aller à Cuba cet été est assez mince. Difficile de partir, plus difficile encore d’arriver. Qu’à cela ne tienne, de nombreuses expos d’art et d’architecture sont sur le chemin de vos vacances en Europe.

En attendant de fouler à nouveau les coursives de l’aéroport José Martí…

Glenda à Paris et autres chemins en France

Glenda León, née à La Havane en 1976, travaille tout particulièrement la relation entre objet et son, visible et invisible, dans des installations contemplatives. Vous pouvez avoir un avant-goût de son univers sans quitter Paris, dans l’expo collective Poèmes et dessins de la fille née sans mère, un titre discrètement surréaliste qui lui va bien.

Metamorphosis II, Glenda León 2021

Une escapade à la campagne, éclairée de la présence d’œuvres d’art, c’est ce que propose Galleria Continua dans ses espaces des Moulins, à Boissy le Chatel. Vous y retrouverez les artistes cubain-es souvent présentés par la galerie : Elizabet Cerviño, Carlos Garaicoa, Osvaldo González, José Manuel Mesías, Susana Pilar Delahante Matienzo et José Yaque, en dialogue avec leurs glorieux aînés Michelangelo Pistoletto, Kiki Smith, ou encore des nouveaux venus de la scène internationale.

Carlos Garaicoa, Deleuze et Guattari arreglando el rizoma. Et une forte envie de toucher l’œuvre. Galleria Continua Les Moulins, printemps 2021

Une expo qui semble n’avoir d’autre but que le plaisir de retrouver la matérialité des œuvres, après des mois d’écrans interposés. Pour la beauté du geste, en somme, et c’est déjà énorme.


Cap sur la Bretagne pour des vacances atlantiques ? Faites étape à Rennes pour l’exposition Face au Mur. Ce n’est pas la première fois que les célèbres affiches cubaines politiques des années 60-70 reviennent sur le devant de la scène, pour leur graphisme qui résiste au temps, leur impact visuel et leur toujours intacte modernité.

La nouveauté de cette expo est de les mettre en perspective avec d’autres écoles de graphisme et d’autres mouvements sociaux, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Pologne et en France… et, oui, en Bretagne !

Richard Nixon : affiche anti Yankee d’Alfredo Rostgaard, Cuba 1972.

Vous optez plutôt pour la Côte d’Azur ? Faites un détour par la Commanderie de Peyrassol, dans l’arrière-pays varois. Elle dispose d’un immense jardin de sculptures au milieu des vignes et d’un nouvel invité permanent : José Yaque (né à Manzanillo, Cuba, en 1985) et son installation Maduración. Telle le vin, elle se bonifie avec le temps.

El dilema del ciempiensamientos, installation de José Yaque à l’UNAICC pendant la Biennale de La Havane 2019.

Felix en Barcelona et autres châteaux en Espagne

La pièce maîtresse de votre randonnée culturelle est sans doute cette rétrospective consacrée à Felix Gonzalez-Torres par le MACBA de Barcelona.

Felix était-il cubain ? Oui et non, car bien que né à Guáimaro (près de Camagüey) en 1957, il a grandi en Espagne puis à Puerto Rico avant de s’installer à New York à 22 ans. Il disposait d’à peine 20 années de travail devant lui, avant de décéder des suites du SIDA, en 1996.

À la différence d’Ana Mendieta, qui a souffert d’un déracinement vers les États-Unis au cours de l’Operación Peter Pan, Felix a été envoyé en Espagne chez les pères catholiques, avant de retrouver ses Caraïbes. Un périple qui apparaît souvent en filigrane dans ses œuvres.

Il me touche particulièrement pour sa capacité à introduire une émotion brute dans des propositions en apparence sèchement conceptuelles, souvent liées à une sensation de perte imminente. Et pour sa générosité aussi. Vous pourrez vous servir en bonbons et repartir avec une partie des œuvres, conçues pour être partageables : souvenirs inoubliables.

Un moment dans l’exposition de Felix Gonzalez Torres au MACBA de Barcelona. Photo droits réservés.

Anyways son œuvre It’s just a matter of time (ou en VO Es solo cuestión de tiempo) résonne plus que jamais aujourd’hui alors que le monde se relève à peine d’une autre pandémie.


Après Barcelone, les Baléares ? Ne ratez pas Es Baluard, le musée d’art contemporain de Palma. Il accueille, entre autres, une expo d’architecture déjà présentée à Barcelone en 2019. La Utopía Paralela regroupe les plans de projets jamais réalisés, d’utopies pour la ville aimée, La Havane. Ils émanent d’une génération d’architectes né-es avec la Revolución mais qui n’ont pas vraiment pu s’y exprimer.

Felicia Chateloin et Patricia Rodriguez : Projet pour la PLaza Vieja, 1986

Leurs projets sont demeurés dans les cartons… jusqu’à ce jour, alors que les hôtels de luxe internationaux qui bourgeonnent le long du Malecón, menacent de transformer le front de mer de la capitale cubaine en Miami-Shanghai-n’importe quelle ville touristique…


Revoici Glenda León, en expo solo cette fois-ci, au musée d’art contemporain de Vigo. Música de les formas : on ne saurait mieux dire pour décrire les œuvres de l’artiste, qui voulait être chorégraphe avant d’obliquer vers les arts visuels.

Installations, dessins et photographie : toute la gamme de son talent est à re-decouvrir dans les salles de ce très beau musée, une ancienne prison construite sur un plan panoptique. Tiens tiens.


Tania à Milano, circuit Italien et au-delà

La transformation sociale est un art, c’est ce que Tania Bruguera démontre depuis plus de 20 ans. Louée sur les 5 continents pour la pertinence de ses installations participatives, elle est en délicatesse – euphémisme – avec les structures du pouvoir de son pays. Après avoir parcouru les salles du Padiglione d’Arte Contemporanea de Milano, vous comprendrez pourquoi.

Tania Bruguera Tatlin’s Whisper #5, 2008. Réactivé à la Tate Modern de Londres en 2018. Droits réservés.

De l’Afghanistan au Brésil en passant par l’Inde et bien sûr Cuba, l’expo Eyes in the Sky présente des artistes des 5 continents. Elle est à découvrir dans l’une des plus jolies villes toscanes : San Gimignano.


Tant que vous y êtes, passez voir l’installation d’Osvaldo González : Viaje. Depuis quelques années ce jeune artiste cubain travaille un seul et unique matériau : le scotch de déménageur. Ce qu’il en fait est à la fois stupéfiant sur le plan esthétique et bouleversant sur le plan symbolique : déménager, voyager, accéder à un autre horizon… des perspectives de l’ordre de l’utopie pour la plupart des Cubain-es.

Osvaldo Gonzales, Muro, scotch et lumière fluorescente, à Galleria Continua Les Moulins, octobre 2017.

Autre artiste qui creuse la notion de territoire : Carlos Garaicoa. Si vous avez la chance de pouvoir pousser jusqu’à Split, rivage méditerranéen de la Croatie, vous y verrez son exposition dans la monumentale Galerija Kula.

N’allez pas imaginer un white cube comme dans le Marais : il s’agit d’un bâtiment médiéval de caractère ! Dans cette expo il est question de ville, bien sûr, et de citoyenneté. What else, par les temps qui courent ?

Bonnes vacances et à bientôt pour – qui sait- des nouvelles des galeries et musées cubains.


Photo à la Une : Affiche de Felix Gonzalez Torres « Es solo cuestión de tiempo », 1992.

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