¡ Tienes el pelo rizado, Céline ! Pero, ¿ Eres blanca ? C’est une dame de Bocas de Yumuri qui m’interpelle ainsi. J’ai beau lui dire que c’est natural, que papi y mami m’ont faite ainsi, ça ne colle pas avec l’image de la yuma blonde, lisse et à fort pouvoir d’achat qu’elle s’attendait à rencontrer.
Sur le coup, RAS. Jusqu’à ce que je commence à m’intéresser au statut des femmes afrodescendantes, sur la grande Île des Caraïbes née de bien des métissages pas toujours consentis.

Sur ce chemin, je ne pouvais que rencontrer le travail de Susana Pilar Delahante Matienzo. C’était d’abord un titre : Lo Llevamos rizo – concurso de cabello afro natural (traduction approximative : Affichons nos boucles – concours de coiffures afro naturelles). Une performance participative présentée au Pabellon Cuba, lors de la Biennale 2015.
Que l’on puisse, depuis le statut d’artiste, poser cette revendication me paraissait réjouissant. Car si les cubains et cubaines sont très nombreux à posséder des cheveux crépus ou très bouclés, de fait bien peu les portent « au naturel ». Pourquoi ?
Dans le dossier de l’événement, Susana Pilar Delahante explique que « Ce projet se propose d’approfondir les notions de canon de beauté afro qui se manifestent aujourd’hui dans la culture populaire cubaine. Plus qu’une mode, ils sont chargés d’histoire et ont valeur de conscience identitaire pour les noirs, qui souhaitent se différencier des stéréotypes occidentaux ».
La mise en valeur du cheveu afro est donc le prétexte qui va permettre de déconstruire ces stéréotypes et proposer une assimilation naturelle dans l’imaginaire social cubain.




Avant d’écrire cet article j’ai parcouru les milliers de photos prises à Cuba depuis mon premier voyage en 2010 : seulement 7 (dont 5 sont dans cet article) représentent des femmes arborant leurs cheveux crépus. Ce sont surtout des petites filles ou des dames âgées…
Les autres utilisent majoritairement et de façon très créative le lissé, le plaqué, les teintures et les extensions pour se faire une tête qui leur plaît et/ou qui plaît à la société dans laquelle elles vivent. D’ailleurs, plutôt que le mot rizo, elles utilisent de préférence l’anglicisme curly, histoire sans doute d’opposer nature et culture.
Mais ce n’est pas sans souffrance, voire sans danger, car les méthodes et produits utilisés sont plutôt agressifs, sans compter le temps considérable consacré à ces modifications corporelles.
El Tanque

Cet aspect est abordé par Susana Pilar Delahante dans une autre performance : El Tanque. L’action problématise le sacrifice et la douleur engendrés pour atteindre un canon esthétique occidental, plus accepté dans l’espace public.
La performance se présente comme une scène de la vie quotidienne où une mère lisse les cheveux crépus de sa fille à l’aide d’un peigne chaud et de crèmes. Cette longue tâche accomplie, la fille plonge immédiatement sa tête dans un seau d’au froide, ruinant le travail de lissage et ramenant sa chevelure à son état naturel. CQFD.
Le concours, saison 2
L’édition 2015 de Lo Llevamos rizo – concurso de cabello afro natural a eu beaucoup de succès, raison de plus pour continuer à creuser le sujet. L’artiste, entourée de toute une équipe, propose donc une édition 2019 dans le cadre de Detras del Muro, la section la plus populaire de la Biennale d’Art Contemporain. Les inscriptions commencent ces jours-ci.
Vous vivez en France et avez les cheveux raides ? Vous pouvez quand même participer en contribuant au – modique – budget. Voici le lien vers la plateforme de financement participatif : Lo Llevamos rizo – concurso de cabello afro natural . À vos peignes, prêts, partez !
Perso j’aurai la chance d’aller y faire un tour en avril et de rencontrer l’équipe organisatrice. Restez donc connectés car – bien que mes modestes boucles européennes me déclassent automatiquement – je pourrai vous reparler du projet, de l’intérieur. À bientôt pour Crêpus, frisés, bouclés : c’est naturel épisode 2 !

Source : Lo llevamos rizo : Concurso de cabello Afro Natural sur la plateforme de financement participatif Okpal et Manifiesto del pelo afro, un article d’Aldeide Delgado sur le site cnap.cult.cu. Cet article est suivi de commentaires fort intéressants sur le sens et les limites du mot « afro ».
Suivez l’actualité du projet sur la page FB Lo llevamo rizo.
Photo à la Une : Finale du concours Lo Llevamos Rizo, première édition 2015, performance de Susana Pilar Dealhante Matienzo pendant la Biennale de La Havane. Afro et fière de l’être !