Des Peter Pan célèbres
L’un des plus fameux est Melquiades Rafael Martínez, plus connu sous le nom de Mel Martínez. Né à à Sagua la Grande en1946, il a été sénateur de Floride et membre éminent du parti républicain. Aujourd’hui c’est un lobbyiste pro embargo, pro armes, contre le mariage entre personnes de même sexe et hostile à l’avortement.
Arrivé en 1962 avec son petit frère, Tomás Pedro Regalado est devenu maire de Miami. Son père est resté prisonnier à Cuba pendant 22 ans, ses enfants suivent sa trace politique, nettement républicaine.
Willy Chirino est arrivé en Floride, en provenance de Pinar del Rio, en 1960. Très tôt il s’est mis à la musique, jusqu’à devenir le pape du Miami Sound. Il s’intéresse de près à l’avenir de l’Île.
Sa chanson Nuestro Día Ya Viene Llegando, que des milliers d’exilés cubains connaissent par cœur, a des accents autobiographiques :
Apenas siendo un niño allá en la Antilla
Mi padre me vistió de marinero
tuve que navegar 90 millas
y comenzar mi vida de extranjero¹ (…)Ya viene llegando
Ya todo el mundo lo está esperando
Ya viene llegando
Ay, Cuba hermosa y primorosa
Ya viene llegando
Porque somos un pueblo que va cantando
Ya viene llegando
Quiero ver volar mi bandera, Cuba nos espera (…)
Willy Chirino
Trajectoires interrompues
Carlos Muñiz Varela, qui avait quitté Cuba à 8 ans avec sa sœur, a ensuite retrouvé sa mère et émigré à Puerto Rico. Militant pour l’indépendance de sa terre d’accueil, il avait aussi créé une agence de voyages qui organisait le retour des Cubains sur leur île natale. Il a été assassiné en avril 1979. Le crime, revendiqué par le groupe paramilitaire d’extrême droite Omega 7, n’a jamais été élucidé.
Ana Mendieta est arrivée en 1961 et a été expédiée dans l’Iowa avec sa sœur. C’est là que, des années plus tard, elle a obtenu son diplôme en Art. On situe son travail aux confluences du Land Art et du Body Art, dans la mesure où nombre de ses œuvres inscrivent l’empreinte de son corps sur le sol d’un territoire donné.
De fait, son travail était tellement organique et autobiographique que son départ de Cuba dans le cadre de l’Opération Peter Pan, de même que sa mort, jamais élucidée, semblent presque en être les premières et dernières actions. Le 8 septembre 1985, elle décède à New York des suites d’une chute du 34ème étage. Elle avait 37 ans.
Des suites difficiles
Adrianne mène une vie tranquille dans l’Oregon. Les yeux graveleux de l’oncle Rubén sont loin derrière. Son vrai nom, Yolanda López-Capestany Miranda, aussi. Elle pense et rêve en anglais mais se sent toujours cubaine, cependant elle n’a jamais pu se résoudre à retourner dans son pays. Au début, par peur de perdre sa liberté et ensuite, par peur d’être une étrangère chez elle…
Alex a réussi à surmonter le souvenir du curé qui abusait de lui sous la tente. Après ses études à UCLA, il s’est lancé dans le tourisme. Son entreprise était spécialisée en « voyages dans les pays socialistes ». En fait ce qui l’intéressait ce n’était pas tant la Chine ou l’URSS, mais bien la possibilité, un jour, de revenir à Cuba.
Malgré les énormes difficultés et les soupçons de part et d’autre, il a réussi. Par contre il n’a plus jamais remis les pieds à l’église. Il se considère « Cubain – trait d’union – Américain » et dit joliment que c’est là qu’il vit : sur le trait d’union.
Roberto a attendu 2002 pour pouvoir enfin parler des viols qu’il avait subis dans les campements. Alors, il s’est décidé à prendre un avocat et a dénoncer publiquement les abus physiques et psychologiques endurés pendant qu’il était sous la responsabilité du diocèse de Miami.
Mais le procès, après des années de pressions, citations et contre-enquêtes, s’est enlisé et n’a jamais abouti à un jugement. Bien plus tard, Roberto est retourné régulièrement à La Havane, où il projetait même d’acheter un appartement. Il est décédé prématurément à Hialeah en 2016, sans avoir jamais été vraiment pris au sérieux…
Emilio, qui avait participé à la campagne d’alphabétisation, contre l’avis de sa mère, est parti de son plein gré à l’âge de 17 ans. Sa famille n’a jamais pu le rejoindre. Devenu avocat pour des entreprises de Wall Street, il voyageait partout sauf à Cuba… jusqu’à ce jour de 1973 où il a ressenti la nécessité de revoir sa mère.
Ses efforts pour réussir à embarquer pour La Havane ont duré plusieurs années : il a écrit au chef de l’État, fréquenté l’ambassade de Cuba en France, essayé d’attendrir Alejo Carpentier, lancé des menaces… et il est finalement entré en contact avec le nouvel ambassadeur (via Eugène Ionesco), qui lui permit de réaliser son voyage en 1977.
Depuis, il retourne régulièrement dans l’île. Mais il est surtout connu pour la Emilioteca : son appartement de Washington rempli du sol au plafond de souvenirs de Cuba : livres, tableaux, gravures, partitions, affiches, assiettes, vinyles, cartes… tout ce qui est cubain finit chez Emilio.
Lui, dit que cette collection est la métaphore de ce qu’il désire pour Cuba : un pays entier, non clivé par ce qui s’est passé depuis 60 ans. Son projet est de rentrer définitivement… et qu’on écrive sur sa tombe : “La Habana 1944 – La Habana dos mil tanto”.
Et Hector et Ada, alors ? Dans l’épisode 1 nous les avions laissés dans une famille d’accueil qui les envoyait bosser comme ouvriers agricoles. Ils se sont élevés tout seuls, se sont débrouillés pour ne jamais être séparés et ont traversé, non sans encombre, l’époque peace and love and drugs. Ils sont aussi devenus les parents de leurs parents, arrivés sans ressources au début des années 70.
Ils n’ont jamais, jamais voulu retourner à Cuba. Mais Hector possède un food truck de cuisine cubaine. Son nom ? Lucy I’m Home !
Une dernière question
Parmi les Américains qui visitent Cuba, difficile de distinguer les ex Pedro Pan. Mais les chauffeurs de taxi et les guides touristiques ont appris à repérer ces étrangers d’apparence prospère, un peu âgés, qui parlent un espagnol correct mais hésitant. Ils fixent longuement des détails que les autres ne voient pas. Ils tiennent en main une vieille photo, un bout de papier avec une adresse à demi effacée et demandent la direction d’une école, d’une maison, d’un cimetière…
Ils portent en eux deux questions sans réponse : pourquoi les États-Unis ont-ils facilité leur départ et pas celui de leurs parents ? Et pourquoi le gouvernement cubain les a-t-il laissés partir ?
¹ J’étais tout petit là-bas aux Antilles – mon père m’a mis mon costume marin – j’ai dû parcourir 90 miles – et commencer ma vie d’étranger (…)
Sources en espagnol : Operación Pedro Pan, historia de 14,000 niños que volaron fuera de Cuba, article de Diego Urdaneta dans El Nuevo Herald et El olor de las sotanas, El dorso de las profecías, El hombre que va a morir en La Habana et El por qué de llamarse Adrianne Miller, articles de Javier Roque dans El Estornudo. Voir aussi Historia de Cuba – Operación Pedro Pan sur le site Conexión Cubana.
Sources en anglais : Operation Peter Pan offered Cuban refugee kids a home in Colorado, but life was no fairy tale dans Colorado Springs Independent et Remembering Operacion Pedro Pan dans LansingCityPulse.
Images : Vous pouvez voir le documentaire d’Estela Bravo Operación Peter Pan : volando de vuelta a Cuba, en entier, sur la page Operación Peter Pan du blog FanalCubano. Nombre des personnes citées dans cet article y prennent la parole.
Vous pouvez aussi consulter l’album photo In Search of Freedom: Cuban Exiles and the U.S. Cuban Refugee Program sur le site de l’Université de Miami.
Photo à la Une : Montage réalisé à partir de : Passengers of JetBlue flight 387 holding a United States, and Cuban national flags, pose for photos in front of the plane, at the airport in Santa Clara, Cuba, Wednesday, Aug. 31, 2016. (AP Photo Ramon Espinosa).
Le premier vol commercial entre Fort Lauderdale, Florida et Santa Clara, Cuba, en août 2016. Parmi les passagers, de nombreux Peter Pan qui posent le pied sur le sol cubain pour la première fois depuis plus de 50 ans. Droits réservés.