Tandis que la chaleur augmente et que les déceptions s’accumulent, je décide d’alléger le programme de visites. On va commencer en douceur sur la Rampa, au Pabellon Cuba dont j’adore l’audacieuse casquette de béton.
On y annonce une flopée de créations in situ, en lien avec l’architecture. Bingo ! Je tombe en arrêt devant l’installation Estratosfera.
Adonis Flores nous emmène en voyage autour de La Havane dans des cabines de téléphérique qui planeraient à 70 m au-dessus du sol. Bien que 100% utopique, le projet a l’apparence d’une étude architecturale très sérieuse, plausible… prenant au pied de la lettre le thème de cette biennale 2019 : La Construcción de lo Posible.
Concept solide, réalisation séduisante, génial ! Mais n’y aurait-il pas aussi un peu de malice dans le choix de la station centrale, positionnée sur le Parque El Curita, actuelle plaque tournante des taxis collectivos qui se substituent, non sans mal, à une vraie politique de transports publics ?
Et puis cette station, elle ressemble fort à l’ambassade de Russie, une bizarrerie qui surplombe le Centre d’Affaires de Miramar.
Crece tu casa / fais pousser ta maison
Je change de quartier mais retrouve un hommage à la construction à Factoria Habana, qui a invité Lucila Aguilar à investir son espace tout en hauteur.
L’architecte mexicaine y a dressé une forêt de bambous, le matériau du futur pour une architecture durable en osmose avec son environnement. Et c’est beau !
Tandis qu’au dernier étage, il s’agit plutôt de destruction, avec Inside out de Ayọ Akínwándé (Nigeria) et Athi-Patra Ruga (Afrique du Sud). Deux travaux documentaires qui rendent palpables les conflits qui agitent la société africaine. Entre guerres civiles et flambées d’homophobie, la reconstruction post coloniale et post apartheid s’annonce difficile…
Dessine moi, moi
Plus de douceur à la Casa de Africa voisine, où Susana Pilar Delahante anime un atelier de dessin, dans le cadre de son projet Lo Llevamos rizo (si vous suivez ce journal de biennale depuis le début, vous aurez compris que c’est le fil rouge de la semaine).
L’art agit parfois simplement et sans artifice : des crayons, une cour paisible et une atmosphère bienveillante… les enfants dessinent, les parents papotent et les idées reçues sur les cheveux afro se défont peu à peu.
On retrouvera beaucoup des participant.e.s lors du grand concours final. Et… des mamans venues pour leurs filles se lanceront elles aussi dans l’aventure de renoncer à lisser leurs cheveux.
10 millones, le sucre amer de Cuba
Plus tard dans la soirée, je vivrai un grand moment au teatro du Museo Nacional de Bellas Artes : dans le cadre de la thématique Isla de Azucar, le musée a la bonne idée de reprendre 10 Millones, texte autobiographique de Carlos Celdran.
Créée en 2016, la pièce était rapidement devenue un phénomène de société, par la sincérité audacieuse avec laquelle l’auteur raconte des événements tragiques de l’histoire récente de Cuba.
Car c’est aussi son histoire : celle d’un petit garçon qu’on envoie, un matin de 1980, manifester devant l’ambassade du Pérou où sont réfugiés les traitres qui veulent à tout prix quitter l’Île. Entre les grilles il essaie d’apercevoir son père…
En 2019, devant un public plutôt chicos et agité, la pièce a toujours son pouvoir cathartique. Dans un silence tendu et ému, on se prend en pleine poire le récit du père tabassé par la foule, entre son domicile et le port de Mariel.
Un final plutôt percutant pour une journée qui s’annonçait légère… Au point que je déciderai d’en rester là et de déserter la Biennale le lendemain.
À suivre…
Voir aussi : Una red de teleféricos para La Habana, article de Darcy Borrero sur el site El Toque. Et un texte an anglais sur l’installation Inside Out sur le site The Gallow Gate.
Photo à la Une : Adonis Flores, Estratosfera (détail), une belle utopie au Pabellon Cuba, Biennale de La Havane 2019.