12 figures de la Culture afro-Cubaine

Afro-cubain : « Se dit, à Cuba, de quelqu’un dont les ancêtres sont originaires d’Afrique noire ». C’est Larousse qui le dit. Ajoutez « Culture » et surgissent des éléments historiques, religieux, musicaux, de langage et même de politique, qui vont enrichir le terme.

Serendipia vous propose une petite exploration dans le passé et le futur de cette culture afro-cubaine, en 12 portraits rapides.

Le choix est subjectif et laisse forcément de côté des personnages tout aussi importants, mais en fin d’article vous trouverez une sitographie, si vous désirez aller plus loin. Black lives matter.

Fondations

Regard sur une génération qui a œuvré avant et après 1959 : Ils sont les piliers de la (re)connaissance de la culture afro-cubaine. Notez qu’ils sont tous cubains, mais pas nécessairement afrodescendants.

Fernando Ortiz (1881 – 1969), le sage : ethnologue, linguiste, sociologue, diplomate (entre autres) et surtout ethnomusicologue, on lui doit la mise en lumière des origines africaines de la culture et de la musique cubaines. Il a inventé le terme de transculturación pour élucider l’identité cubaine et son génie musical, construits par contacts successifs entre personnes de cultures différentes.

Pour don Fernando Ortiz, la musique est como un ron sonoro que se bebe por los oídos (in La Africania De La Musica Folklorica De Cuba, 1965).

Santiago, Centro Fernando Ortiz, Vista Alegre 2015

Avec tout ça, il a aussi trouvé le temps d’écrire la première biographie de l’artiste Wifredo Lam. La nation cubaine a donné son nom à plusieurs centres culturels, dont l’un à Santiago de Cuba (quelques mots ICI sur la visite de ce modeste musée).

De lui, on peut lire en français Controverse cubaine entre le tabac et le sucre paru pour la première fois à Cuba en 1940 sous le titre Contrapunteo cubano del tabaco y el azúcar.


Lydia Cabrera (1899 – 1991), une femme libre : Cette grande bourgeoise qui fit ses études à l’École du Louvre et publia dans de prestigieux magazines français, s’est consacrée à partir des années 50 à parcourir Cuba pour collecter les contes, mythes et rituels afro-cubains.

En 1954, elle publie El Monte, considéré comme une véritable bible des religions cubaines d’origine africaines. On y apprend tout sur la santeria, cette foi qui métisse saints catholiques et dieux Yoruba, tous importés sur cette île, si éloignée géographiquement de l’Europe et de l’Afrique.

Amelia Peláez and Lydia Cabrera en route pour l’Europe, 1930. University of Miami, Cuban Heritage Collection, droits réservés..

Mais trop libre, trop différente, ouvertement lesbienne et radicalement opposée au nouveau régime, dès 1960 elle s’exile à Miami. Elle y poursuivra sans relâche ses recherches ethnographiques.

D’elle, on peut lire en français Contes nègres de Cuba, publié pour la première fois chez Gallimard en 1936 et bien sûr La forêt et les Dieux, titre français pour El Monte, aux éditions Jean-Michel Place.


Nicolás Guillén (1902 – 1989), le poète de la couleur cubaine : Aussi fervent défenseur du nouveau régime que Cabrera y était opposée !

Métis, fils d’un imprimeur de Camagüey, Nicolás Guillén s’est engagé auprès des Républicains Espagnols dans les années 30 et a de nouveau quitté Cuba pendant la dictature de Batista, avant d’y revenir pour participer activement au futur de son île. Il est rapidement devenu « poète national ».

Sa poésie aborde ses origines africaines et le rejet de l’impérialisme, comme un tout indémêlable qui forge l’identité cubaine. Une quête qui passe par la revendication de « la couleur cubaine », celle de la peau infiniment métissée.


Quand je me vois et je me pince moi, Jean Sans Rien encore hier et aujourd’hui Jean Avec Tout, aujourd’hui avec tout, je regarde en arrière, je contemple, je me vois, je me pince et je me demande : mais comment est-ce possible ?

(…) J’ai, voyons un peu, que moi qui suis noir, personne ne peut me barrer la porte d’un dancing ou d’un bar ou bien, devant le hall d’un hôtel, me crier qu’il n’y a pas de chambre, pas la moindre petite chambre, pas une chambre colossale, non, une petite chambre où je pourrais me reposer. (…)

Nicolás Guillén, Tengo (extrait), 1964


Re-pères et mères

Sara Gómez en tournage, années 60.

Sara Gómez (1942 – 1974), la toute première réalisatrice à Cuba : Femme, noire et cinéaste dans une société qui essayait de se réinventer, elle s’attaquait aux sujets qui fâchent : la marginalité, le racisme, le féminisme et le machisme-léninisme. Relisez cet article et (re)voyez son film Iré a Santiago :


Belkis Ayón (1967 – 1999), le visage muet de la société Abakuá : C’est une figure unique et précieuse des arts visuels cubains. Sur sa courte vie, sa maîtrise de la collographie et son exploration de la société Abakuá, interdite aux femmes, je vous propose de relire cet article :


Santiago Alfonso (né en 1939), du folklore au Tropicana : Venu de la danse traditionnelle, Santiago Alfonso aborde la danse moderne dans le sillage de Lorna Burdsall et Ramiro Guerra, à l’origine de Danza Contemporanea de Cuba (alors Conjunto Nacional de Danza Moderna). Les rythmes afro-cubains ont profondément impacté le style de cette compagnie.

Pendant des années difficiles, il a réussi à maintenir à flot le vaisseau Tropicana, fleuron de la revue de variétés a lo cubano. Une réussite peu courante pour un chorégraphe noir de cette génération.

Santiago Alfonso, 2018. Droits réservés.

Si son visage vous dit quelque chose, c’est sans doute parce que vous l’avez vu au cinéma dans Yuli : il y joue le rôle difficile du père du héros, Carlos Acosta. Quand la fiction s’inspire de la réalité…


Síntesis, rock-fusión en famille : Depuis 1976, le groupe Síntesis de Carlos Alfonso et Ele Valdés ne se lasse pas de marier sons afro-cubains et rock. Rythmes hip hop ou yoruba, jazz, tropical : rien de ce qui est musique ne leur est étranger.

Ils se marièrent et eurent de beaux enfants, voyez le chapitre suivant Célébrités. Et surtout, ils ouvrirent la voie à de très nombreux groupes et mouvements qui marient racines africaines et électro bien trempé. Aujourd’hui cela paraît tout naturel et Síntesis est devenu une institution, mais on salue quand même en eux les pionniers.


Eduardo Roca, dit Choco, des racines à la toile : Considéré comme le plus grand graveur de sa génération, il avoue que ce choix de medium est en grande partie dû au manque de matériaux disponibles pendant ses études. Ses œuvres, très texturées, appellent le toucher. Figuratif, il utilise largement les symboles afro-cubains.

Eduardo Roca dit Choco, droits réservés

Ces symboles étaient pendant longtemps réservées à la sphère privée, pour raisons idéologiques. Ils ont désormais droit de cité et se retrouvent dans le travail de très nombreux artistes visuels cubains. Jetez un œil à la magnifique Von Christierson Collection consacrée aux artistes afro-cubains, pour vous en convaincre. Biographies d’artistes, photos, textes critiques… une mine !

À vous Ruperto Jay Matamoros (1912-), Manuel Mendive (1944-), Julián González Pérez (1949-), Rene Peña (1957-), Marta María Pérez Bravo et María Magdalena Campos-Pons (1959-), Juan Carlos Alom et Manuel Arenas (1964-), Elio Rodríguez, Pedro Alvarez (1967 – 2004), Ibrahim Miranda (1969-), Alexandre Arrechea (1970-), Juan Roberto Diago (1971-)…

Juan Carlos Alom, Papucho (2008) digital print 105 X 105,5 cm

Célébrités

L’alphabet des célébrités afro-cubaines débute à A comme Acosta (Carlos, mon idole, danseur de ballet planétaire) et va jusqu’à X (prononcer Equis) Alfonso, musicien, vidéaste et papá de la Fábrica de Arte Cubano… en passant par Eme Alfonso, musicienne et maman du festival Havana World Music.

Les deux derniers sont les enfants du couple fondateur de Síntesis. Vous suivez ? Dans cette catégorie, citons aussi, parmi tant d’autres, le jazzman Roberto Fonseca, qui ne cache pas sa pratique de la santeria !

Concert de Roberto Fonseca à la Fábrica de Arte Cubano, décembre 201è

Nouvelles générations

Susana Pilar Delahante Matienzo et Carlos Martiel sont deux performers passés par la Cátedra Arte de Conducta, créée par Tania Bruguera à partir de 2003. Chacun à sa manière, ils poursuivent cette recherche de l’art comme moteur de changement de la société.

Susana Pilar Delahante, performance El Tanque II, en collaboration avec Asunción Matienzo Serra. Photo issue de http://susanapilardelahantematienzo.blogspot.com, droits réservés.
Carlos Martiel, condecoracion 2014, d’après une vidéo de Glexis Novoa, droits réservés.

Susana travaille – notamment – sur le statut des femmes afrodescendantes et collabore avec le mouvement Lo llevamos rizo, qui s’attache à promouvoir la beauté de la chevelure africaine, longtemps déconsidérée dans toutes les Amériques.

Carlos produit des performances où son corps est le medium des stigmates de la période esclavagiste, ou des migrations forcées actuelles. Afro-cubains mais surtout citoyens du monde, ce qu’ils jettent dans la bataille ce ne sont pas leurs discours mais… leurs corps. Quoi de plus politique ?


Du côté de la musique, Yissy Garcia impose sa force féminine dans un monde majoritairement masculin, celui du jazz. Et non, elle n’est pas chanteuse mais percussionniste !

Yissy Garcia 2015. Photo droits réservés.
Trailer for Bakosó: AfroBeats of Cuba directed by Eli Jacobs-Fantauzzi

À l’autre bout de l’île (comment parler de culture afro-cubaine sans évoquer Santiago de Cuba ?), DJ Jigüe participe activement à la fusion des rythmes traditionnels avec le monde de la musique électro.

Dans la vidéo ci-dessus, on le voit au Monumento al Cimarron et dans d’autres lieux de souvenir de la dure histoire des Africains de Cuba. Un retour à des sources amères qui ne l’empêche pas de se projeter dans l’avenir.

C’est cette génération qui porte le futur de la culture afro-cubaine. À suivre !


Sources : Diez personalidades que han enriquecido la cultura afrocubana et Cuatro lugares imprescindibles para conocer la cultura afrocubana sur le site panamericanworld.

Biographie de Lydia Cabrera, conteuse, folkloriste et anthropologue “noire et blanche”, article en français de Carmen Ortiz García sur le site berose.fr.

Portrait de DJ Jigüe : Un tributo a Obatalá sur le site gladyspalmera.com.

Sitographie – Plus d’infos sur les mouvements afro-cubains actuels ? Voyez les pages FB Lo llevamos rizo, El Club del Espendrú, Negra cubana tenía que ser et le site de Coco Fusco, entre autres ressources facilement disponibles.

Photo à la Une : Carlos Martiel, La sangre de Cain, performance pour la Biennale de La Havane 2019 (retirée de la programmation). Photo Williams Cruz Perdomo, droits réservés. Une métaphore du statut des artistes afro-cubains ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *