Cuba aujourd’hui : Academia de Artes Plásticas Wifredo Lam, Taller vocacional Wifredo Lam, Centro de Arte Contemporáneo Wifredo Lam… Il y a autant de centros Wifredo Lam sur l’Île que de salles Gérard Philipe en France !
Paradoxe que cette présence de l’artiste dans l’espace public cubain, alors qu’il n’y aura passé qu’une petite partie de sa vie.
Mais si on s’intéresse à la Cuba contemporaine, on ne peut qu’être fasciné par la trajectoire de ce Chinois Cubain, citoyen du monde, qui aura – à la différence des générations suivantes cantonnées à l’Île – sillonné tous les continents et pris position dans les conflits du XXe siècle autant que dans les événements de sa patrie d’origine.
Ça tombe bien, le Centre Pompidou consacre à partir du 30 septembre une importante rétrospective à l’œuvre et à la trajectoire de Wifredo Lam. Plus de 400 œuvres — peintures, dessins, gravures, céramiques, photographies, revues et livres rares… pour une traversée chronologique : Espagne (1923-1938), Paris-Marseille (1938-1941),
Cuba et les Amériques (1941-1952), Paris, Caracas, La Havane, Italie, Zurich (1952-1961), Paris et Albisola (1962-1982).
Occasion unique de voir ensemble les premières gouaches, La Jungle (1943), toile immersive (près de 2m40 sur 2m30) prêtée par le MoMa de New York, les gravures des années 60 et 70 et les céramiques d’Albisola…
Chacune replacée dans le contexte politique et social de son époque, éclairée par les documents qui attestent de la vie de l’artiste et de ses rencontres avec les intellectuels et poètes qui ont croisé son chemin.
Une vie longue et engagée, donc. Et placée sous le signe du métissage : car pour que Wifredo naisse à Sagua la Grande en 1902 il aura fallu que son père, né à Canton 80 ans plus tôt, émigre à San Francisco puis au Mexique avant d’épouser à Cuba une descendante de Congolais déportés et d’Espagnols créolisés. Sa marraine est une prêtresse de la santeria renommée, son père pratique le culte des ancêtres et sa maman le fait baptiser. Un précipité de Cuba !
Vocation précoce, études académiques à La Havane et départ à Madrid pour parfaire sa formation. Il restera en Espagne jusqu’en 1938, traversant des drames personnels (son épouse et son enfant meurent de la tuberculose), découvrant les avant-gardes européennes, s’engageant auprès des Républicains (ceux d’alors…), participant à la défense de Madrid et fuyant finalement vers le nord comme tous les vaincus de la guerre civile.
J’ai dit la première fois que nous nous sommes vus que tu me rappelais quelqu’un : moi.
Pablo Picasso
Séjour de courte durée, rencontre capitale avec Picasso qui le soutient et lui présente le tout Paris de l’art et des galeries. Mais déjà les nazis arrivent et c’est le repli à Marseille où il retrouve sa future épouse Helena Holzer. Pause étrange, entre angoisse et désœuvrement, découverte du surréalisme et attente de visa, à la Villa Air Bel où ses colocataires se nomment André Breton et Jacqueline Lamba, Victor Serge, René Char, Max Ernst, Peggy Guggenheim… Finalement grâce à l’acharnement de Varian Fry – un héros absolu – il peut enfin échapper aux nazis et à la police française, en embarquant sur un rafiot qui emmène aussi les Breton, Anna Seghers et Claude Lévi-Strauss vers les Tropiques.
Ce sera la Martinique et l’amitié avec Aimé Césaire, autour des valeurs anticolonialistes. Puis le retour à Cuba, alors sous le régime de Batista, qui lui évoque l’enfer de la misère coloniale qu’il avait fui 20 ans plus tôt.
Alors j’ai commencé à fabriquer des tableaux dans la direction africaine
Wifredo Lam
Il rencontre Lydia Cabrera et creuse sa connaissance de la santeria. Il travaille avec acharnement et expose partout, notamment à New York. Jusqu’au coup d’État – encore Batista ! de 52 qui le pousse à s’installer à Paris, puis à Albissola sur la côte Ligure, d’où il rayonne sur plusieurs continents, rencontre le mouvement CoBrA, John Cage, l’Internationale Situationniste et Lou Laurin, sa troisième épouse.
Dans les années 60 le nouveau régime de son pays natal lui fait un accueil triomphal à chaque retour mais il ne s’y réinstallera pas… sauf vers la fin de sa vie où, cloué dans un fauteuil, il fait des allers retour entre Cuba et l’Italie et réalise beaucoup de gravures pour illustrer les poèmes de ses amis René Char, Édouard Glissant, Alain Jouffroy, Michel Leiris…
Seule la mort en 1982 mettra fin à son périple, à (re)découvrir du 30 septembre au 15 février à Paris !
Image à la Une : couverture pour le magazine View, mai 1945. Droits réservés.
Après le Centre Pompidou, l’exposition sera présentée à Madrid, d’avril à août 2016, puis à Londres, de septembre 2016 à janvier 2017.
Le catalogue publié aux éditions du Centre Pompidou comprendra des textes de Michel Leiris et de Pierre Mabille, Fernando Ortiz, Alain Jouffroy et Lowery Stokes Sims.
Une réflexion sur « Quoi de neuf ? Wifredo Lam »