Un virus à Cuba : le paradoxe d’une île

Face au Covid-19, Cuba est-elle ce confetti fragilisé dans la mer des Caraïbes ou une grande puissance sanitaire ? Les deux mon Comandante. Et au quotidien, comment ça se passe ?

Depuis une dizaine de jours, les frontières cubaines sont fermées. Les touristes ont été confinés dans des hôtels de MIramar et évacués dans des avions affrétés par des compagnies pressées de cesser leur activité au plus vite.

Les Cubains qui rentrent à la maison passent par des centres d’isolement, à l’image de la résidence universitaire de la calle Linea, dans le Vedado, réquisitionnée à cet effet.

Enfin, après moult réclamations de la population et de la presse indépendante, le gouvernement s’est décidé à fermer les écoles et à recommander aux compañeros de rester chez eux.

#QuedateEnCasa

On est donc dans une situation qui, de loin, ressemble à celle de la France… #ResteàLaMaison ! Facile à dire mais quasiment impossible à mettre en pratique dans les agglomérations cubaines, voici pourquoi :

Pour rester chez soi, il faut avoir 1 > un chez soi avec du wifi, 2 > de l’eau courante, 3 > la possibilité de faire de grosses courses, disons pour 1 semaine au moins.

La Havane, hiver 2017 : un magasin d’Etat en temps normal. Approvisionnement problématique…
Des logements exigus amènent à passer beaucoup de temps dans les parques, où se déroulent une grande partie des connexions internet des Cubain.es.

Or cette virée au supermarché qui nous est si familière en Europe, est impraticable à Cuba. D’abord, la plupart des foyers se nourrissent au jour le jour parce que leur économie très incertaine ne leur permet pas de faire autrement.

Ensuite, si tous les Cubains avaient les moyens d’acheter à l’avance pour la semaine, les réserves des magasins seraient épuisées en quelques heures, provoquant des pénuries encore plus longues que d’ordinaire. Car l’État, principal fournisseur et unique importateur, vit lui aussi au jour le jour…

Mesures annoncées

Malgré tout, de nouvelles mesures sont annoncées. Dès ce lundi 30 mars, l’État ajoute de nouveaux produits à la libreta : féculents, légumes et 11 livres de pois. Il va aussi augmenter la production de pain pour les enfants (qui ne bénéficient plus de celui de la cantine).

Il garantit la fourniture « en suffisance » des 4 protéines animales disponibles à Cuba : charcuterie, hachis, œufs et poulet. Le tout de production locale, pour éviter les risques liés au transport d’une province à l’autre.

Centro Habana : on se hâte d’acheter des œufs pendant qu’il y en a.

Il garantit également savon, dentifrice et lessive. De plus, un fonctionnaire fournira les foyers des personnes vulnérables, qui ne pourraient pas se déplacer à la bodega. Pour les autres, un mètre de distance dans la queue et masque obligatoire.

La distanciation impossible

Santiago de Cuba, décembre 2019 : des masques dans la rue.

Ça c’est sur le papier. Mais à Cuba tout le monde sait que le poulet manque à l’appel une fois sur deux et que le P-cul et autres produits de base, qui permettraient de rester à la maison dans un relatif confort, sont bien souvent introuvables. Quant au gel désinfectant, il en reste peut-être un peu, laissé par les derniers touristes…

Quand on subit au quotidien les longues files d’attente pour se retrouver devant des rayonnages vides ou des produits défectueux, on doit être perplexe face à de telles annonces, qui laisseraient penser que l’économie à Cuba, c’est juste une question de volonté.

Obligés de sortir tous les jours pour trouver leur pitance, les Cubains ne peuvent tout simplement pas pratiquer la « distanciation sociale » recommandée partout ailleurs.

Livraison d’eau potable dans la Habana Vieja 2015.

Et c’est sans tenir compte des problèmes d’eau, sempiternels dans certains quartiers. Si vous n’avez plus d’eau dans le tanque, vous faites comment pour maintenir l’hygiène ? Et si le camion passe en bas de l’immeuble, vous évitez de descendre par mesure de précaution ? Allez, bon courage…

Solidarité internationale

Deux nouvelles ont fait récemment le tour de la presse internationale : l’accueil dans le port de Mariel du crucero Braemar et l’arrivée de médecins cubains dans les pays les plus touchés par le virus.

Braemar versus Saint Louis

Cuba a, en effet, accueilli un paquebot de croisière britannique avec cinq passagers positifs au coronavirus à bord. Refoulé des Barbades et des Bahamas, le Braemar a fini par accoster à Mariel, après d’intenses échanges diplomatiques. Touristes comme équipage ont ensuite été conduits directement à l’aéroport, d’où ils ont regagné le Royaume-Uni.

En temps normal, l’arrivée d’un paquebot de croisière à La Havane est une promesse de revenus pour le tourisme.

Quand le dernier avion de British Airways a décollé de l’Aeropuerto Internacional José Martí, c’était non seulement l’achèvement d’une belle opération sanitaire entre Cuba et l’Europe, mais aussi la réussite d’une intense campagne de communication, pour le gouvernement de l’île.

On ne peut s’empêcher de penser aux passagers juifs allemands du Saint Louis qui, en juin 1939, furent refoulés de Cuba et de toute autre destination américaine et durent retourner vers l’Allemagne nazie qu’ils fuyaient. Un déshonneur dans la conscience collective cubaine, qui a été maintes fois évoqué dans le débat actuel : faut-il ou non laisser accoster le Braemar ?

De la médecine comme monnaie d’échange

Hors épidémie, plus de 50 000 médecins cubains sont déjà en mission dans plus de 30 pays. Notez que pour une population de 11,5 millions d’habitant.es, c’est vraiment pas mal.

Ces missions médicales sont une monnaie d’échange pour le gouvernement cubain, qui doit des sommes astronomiques notamment à l’Union Européenne, sans compter sa réputation internationale entachée par quelques manquements à la liberté d’expression…


Les risques sont grands, mais plus grand encore l’engagement de représenter notre patrie.


C’est munis de ce viatique et de doudounes bleues enfilées sur leurs blouses blanches, que 52 médecins cubains arrivent en Italie le 21 mars dernier. Reconnus pour leur compétence, les personnels soignants et médecins cubains sont plus que jamais sur tous les fronts.

Parmi eux, certains luttaient déjà contre l’Ebola en Afrique de l’Ouest, en 2014. Aux avant-postes de la Revolución, à leurs risques et périls. Et symptomes du paradoxe cubain : posséder une population médicale remarquable et être incapable de subvenir aux besoins vitaux de ses citoyen.nes.

Conjectures & conséquences

Tout vient toujours de l’extérieur, à Cuba. C’est pas nouveau. Les frigos, les révolutions et le pétrole arrivent par la mer, les touristes et les importations alimentaires par les airs. Les épidémies, aussi.

En l’instant où j’écris ces lignes, les morts du Coronavirus à Cuba se comptent sur les doigts d’une main, les malades par dizaines, les cas suspects par centaines. Vous pouvez y regarder de plus près sur cette carte interactive qui recense les cas en temps réel : https://diariodecuba.maps.arcgis.com/…/opsdashb…/index.html…

2013, Santiago de Cuba en temps de grippe H1N1 : une préposée au lavage de mains propose sans conviction quelques gouttes d’eau chlorée.
La Havane, printemps 2019 : la police n’est jamais bien loin.

Cela semble contrôlable, mais les conditions de vie sur l’île font craindre une courbe exponentielle. On se demande surtout si le confinement sera tenable, si les mesures sanitaires seront suffisantes… et pendant combien de temps le gouvernement pourra maintenir à flot un pays aussi dépendant de l’extérieur.

Playas del Este, vides…

Imaginez l’économie de l’Île sans avions qui amènent les touristes et sans bateaux qui amènent le pétrole… des plages et des hôtels vides, le marasme économique qui s’amplifie…

Imaginez Cuba sans manifestations sportives, sans concerts, sans wifi dans les parques, La Havane sans foule sur le Malecón, sans autobus bondés, sans file d’attente à Coppelia…

Sancti Spiritus, été 2018 : une répétition de la conga du carnaval.
Marianao : l’avenida 41, ses piqueras de colectivos et ses bus bondés.
La Havane, edificio GIron : un avenir qui s’annonce difficile.

L’image est floue, elle fait mal, on espère qu’elle s’effacera vite.


Sources : Gobierno cubano distribuirá nuevos productos por la libreta durante crisis por coronavirus sur cibercuba, Así funciona el primer centro de aislamiento para cubanos que regresen del extranjero sur Vistar Magazine, profils FB de Luis Manuel Otero Alcántara, Coco Fusco et Maykel González Vivero.

Photo à la Une : à Cuba début mars 2020, des écoliers s’entraînent à tousser dans leur coude pour éviter la propagation du coronavirus. Photo de presse, droits réservés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *