langouste de Cuba, le fruit défendu

Les forums sur Cuba ne parlent que de ça : « Où manger les meilleures langoustes pas chères avec des Cubains super sympa ?  » à égalité avec « Où boire les meilleurs mojitos ?  » Oui, la langouste fait partie des étapes obligatoires du tourisme à Cuba.

Ce n’est pas une raison pour la bouder, car elle est succulente. Mais hors restaurant, comment se procurer ce grand crustacé caractérisé par l’absence de pince et la présence de longues antennes ? Un cuisinier du Vedado faisait récemment remarquer que si tout le monde peut acheter de la langouste, personne n’a le droit d’en vendre. Un paradoxe cubain de plus…

Par « personne », on entend bien sûr « aucun particulier ». Car scoop : l’État cubain possède le monopole de la pêche à la langouste sur l’île. Et cette production n’est pas vraiment destinée au peuple, puisqu’une énorme partie est exportée et l’autre réservée aux restaurants d’État. Mais alors, d’où vient le beau crustacé qu’on vous a servi dans un paladar ou chez des amis ?

Qui pêche et vend la langouste de Cuba ?

La zone de pêche la plus importante se situe sur la côte sud des provinces occidentales, entre Batabanó (au sud de La Havane), Pinar del Rio et l’Isla de la Juventud.

Une entreprise d’État parmi d’autres, La Coloma au sud de Pinar del Rio, pêche officiellement le poisson à consommer sur place et les crustacés à exporter. Avec ses 63 bateaux, elle produit bon an mal an 300 tonnes, dont 90 à 95% pour l’exportation, le reste étant réservé à l’hôtellerie.

Comme toute matière première produite sur l’île, la langouste est « régulée ». Autre exemple, le cacao de Baracoa va directement en Belgique sans passer par la case Marché Intérieur, sauf les miettes soustraites par les trabajadores qui risquent de passer, eux, par la case prison.

C’est la société d’État Caribex qui est chargée d’exporter la langouste vers les marchés européen, canadien et asiatique. En 2019, le chiffre de l’exportation s’élevait à 63 millions de dollars (chiffre Cibercuba).

Pêche à la langouoste à Batabanó. Photo Juventud rebelde, droits réservés.

Vous ne comprenez toujours pas d’où provenait la langouste que vous avez mangée à la casa ? Sûrement pas des rares poissonneries de quartier qui ne fonctionnent quasiment plus…

C’est le moment de mentionner le flou artistique dans lequel se trouvent les pêcheurs plus ou moins professionnels qui ne travaillent pas pour l’État – et leurs clients, plus ou moins clandestins…

Sans compter les pêcheurs salariés de l’État qui, par le biais de passeurs, font parvenir les langoustes jusqu’à la capitale dans de petites valises bourrées de glace pilée et de vieux habits. Un job à risque car les 56 km entre Batabanó et La Havane sont autant d’occasions d’être pris dans le filet des contrôles routiers.

Donc restons dans le flou, levez-vous tôt et débrouillez-vous en toute discrétion…

La meilleure recette de langouste maison

Et maintenant que vous avez la langouste, on ne vous demande pas comment vous l’avez acquise et on passe à table !

Langouste et chips de banane plantain, le bonheur !

La meilleure recette, c’est la plus simple : vous décongelez éventuellement vos langoustes – carapace préalablement fendue dans la longueur – et vous les cuisez à feu doux jusqu’à obtention d’une belle couleur orange. Vous les tartinez de beurre ou d’huile de temps à autre. La chair doit être blanche mais point sèche. Et c’est tout !

Enfin presque… Car vous avez réussi à vous procurer le précieux crustacé, mais vous êtes toujours sous le coup du tabou de l’interdiction, alors vous devez ruser pendant la phase de préparation…

Déjà, ne clamez pas le mot en L à la fenêtre. Ne sortez pas le barbecue sur le balcon non plus. Ensuite, trouvez quelque chose d’odorant, style encens ou caramel brûlé (un truc de ma mère) pour masquer le fumet iodé. D’ailleurs, la langouste étant peu calorique, vous pouvez équilibrer le repas avec des mariquitas. C’est bon et ça a une petite odeur d’huile chaude. Bon appétit !

Ex fan des seventies (pause culturelle)

Le boom de la langouste de Cuba débute en France en 1970, lorsque la langouste précuite cubaine gagne la médaille d’or au SIAL de Paris. Grâce au développement du surgelé, elle est présente sur les tables françaises comme en attestent ces délicieuses (et sexistes) pubs d’époque. On vise la ménagère émoustillée par l’effet d’aubaine et – comme c’est bizarre – l’embargo ne semble pas gêner tant que ça.

1983 : un spot plus sobre dans son message mais une tierce au dessus :


Langouste à Cuba, la troisième voie

Les temps sont durs, en pleine épidémie de Covid-19 il est encore plus difficile que d’habitude de s’approvisionner à Cuba. Mais ne désespérez pas, une autre entreprise a su tirer parti de la situation.

Je suis tombée récemment sur la pub ci-dessous, qui propose à tout Cubain de se payer de la langouste et même de la faire livrer à domicile. Adieu le marché noir ! Il s’agit de la boutique en ligne tuenvio.cu qui opère à partir du Centro Comercial Carlos III. Malgré la date de la publication, ce n’est pas un poisson d’avril : 22,70 $ le kilo.

À ce prix-là (15 jours de salaire moyen), pourquoi se priver de ce fruit défendu ?


Voir Peu de fronts froids, moins de langoustes dans Granma en français et La langosta cubana : uso, comercialización y captura sur todocuba ou encore El gobierno de Cuba ingresa 63 millones de dólares anuales por exportación de langosta y camarones sur cibercuba et Raulito Bazuk, revendiquer la gastronomie cubaine sur le site Cubania.

Un peu d’humour pour finir : la fameuses langouste du Gril Caribe, sur le chemin de Palya Ancon en venant de Trinidad.

Photo à la Une : Vilella, Cristóbal (1742 – 1803) Gavilán sobre una langosta (fragment) 63 x 82 cm, huile sur toile. Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid. Autrement dit, un épervier dégustant une langouste.

4 réflexions sur « langouste de Cuba, le fruit défendu »

  1. « sauf les miettes soustraites par les trabajadores qui risquent de passer, eux, par la case prison » Ja ja ja, si vrai et si triste !!! Mais attention, si vous en mangez à la maison et en parlez autour de la table, attention à ne jamais prononcer le nom de la bête prohibée sur les tables cubaines (le son passe à travers le cajon de aire, c’est-à-dire… le puits d’aération ???) Dites plutôt « el bicho », ou à la limite, « el camaron grande » !!!!!
    Quand est-ce que nous allons en mange à nouveau ??? 🙁

  2. L’an prochain à Batabanó quizas ?
    Il y a un article sur 14 y medio nommé « Surgidero de Batabanó, La cuna de la langosta ilegal ».
    Evidemment, je suis tentée !

  3. Oui mais en fait je m’en souviens très bien. C’était une des premières pubs qui avaient quitté le ton « réclame » pour plus de fantaisie un poil raciste (même époque que la pub Pliz je crois). Par contre je ne comprends pas comment on pouvait faire de la pub pour un produit cubain à l’époque ?

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