Depuis 60 ans il défie les vagues de l’Atlantique et celles de la nostalgie : Le Habana Riviera est un hôtel de luxe sur le Malecón de La Havane, comme bien d’autres, mais pas tout à fait… car depuis son ouverture en 1957 il paraît figé dans le temps et plus précisément dans le glamour balnéaire des années 50.
On le repère de loin avec ses 21 étages et son énorme logo à la typo désuète, son look moderniste et sa façade incurvée. Approchons-nous : L’immense lobby distribue les accès au cocktail lounge, à la salle à manger l’Aiglon, à la légendaire Copa room, à la galerie marchande souterraine et enfin à la piscine.
Celle-ci a toujours fière allure et… deux détails qu’on n’aperçoit pas au premier abord : ses berges dessinent la forme d’un cercueil et le plongeoir, à un certain moment de la journée, y trace l’ombre d’une croix. Vanité moderne…
Au départ, l’hôtel était conçu comme un écrin de choix pour son attraction principale : le casino. Fermé depuis des lustres, il se signale quand même depuis l’extérieur par sa coupole recouverte de mosaïque. Sa grande salle était éclairée par 7 énormes luminaires de cristal, tandis que la feuille d’or et des motifs marins garnissaient les murs.
Qui était à l’origine de ce projet ? Meyer Lansky, le célèbre mafieux ! Ses sources d’inspiration étaient, sans surprise, Las Vegas et Miami, mais il trouvait La Havane plus appropriée à ses activités illicites… Et en effet, il y était tranquille puisque le financement de la construction provenait presque entièrement d’une banque cubaine contrôlée par un certain Batista, alors président de la République.
En ces années 50 finissantes, les États-Unis exerçaient une très forte influence économique et culturelle sur l’Île. Mais la fascination était réciproque, et pas seulement sur les tapis verts. Tout Cubain blanc et un peu riche traversait régulièrement le Détroit de Floride. Et les Américains du Nord avec un minimum de standing s’offraient dès que possible un week-end à La Havane : bonne musique, sports nautiques, lune de miel ou sexe tarifé…
Sur les dépliants publicitaires américains, la capitale cubaine était parfois nommée « The Paris of the Carribean ». En référence aux « petites femmes de Montmartre » sans doute, plutôt qu’à Jean-Paul Sartre… De là à donner au fleuron de l’hôtellerie un nom qui évoque la Côte d’Azur, il n’y avait qu’un pas.
L’architecte choisi, Igor Boris Polevitzky, avait déjà fait parler de lui à Miami Beach en y développant un style d’architecture adapté aux tropiques, appelé MiMo (Miami Modernism). Lansky embaucha également Albert B. Parvin – un spécialiste des casinos – pour réaliser la déco intérieure avec un budget pharaonique. Le décor était planté.
Il ne manquait plus que quelques œuvres d’art, que l’on commanda au muraliste Rolando Lopez Dirube et au sculpteur Florencio Gelabert. On peut toujours admirer leurs créations, dans le lobby mais aussi à l’extérieur, où les visiteurs sont accueillis au pied de la rampe d’accès par une sirène et un espadon qui s’enlacent en tournoyant depuis 60 ans.
Le tout devait être réalisé en en temps record : les travaux, commencés fin 1956 sur un ancien terrain de sport, étaient achevés pour l’inauguration en décembre 1957. Ginger Rogers assura le show, accompagnée par l’orchestre de Jack Cole. Le gratin hollywoodien était là, ainsi que la grande famille mafieuse de Meyer Lansky…
Lequel s’installa dans la suite présidentielle du dernier étage. Ça vous rappelle un personnage plus contemporain ? Mais ce règne-là fut de courte durée car Lansky, occupé à construire son empire, avait négligé l’ambiance de soulèvement pourtant fort perceptible à La Havane.
Le 1er janvier 1959, Batista s’envolait vers la République Dominicaine. Le propriétaire du Riviera ne demanda pas son reste et fila aux Bahamas. 3 semaines plus tard, le vainqueur de la Sierra Maestra tenait une conférence dans la Copa Room. Il ne tarderait pas à nationaliser tous les hôtels et à déclarer les casinos illégaux…
Depuis les années 60, le Riviera était géré par le ministère du Tourisme via une de ses agences. Les célébrités qui ont foulé son lobby vont de Stewart Granger à Alain Delon, d’Olga Guillot à Leo Brouwer, de Gabriel García Márquez à Michel Legrand, d’Angela Davis à Valentina Tereshkova et de Roque Dalton à Salvador Allende… Pas étonnant qu’avec tout ce monde, une certaine usure se soit fait sentir.
Mais en 2016 une grande chaîne hôtelière espagnole a pris les choses en main avec la volonté de tout rénover à l’identique. Le résultat est si bluffant que la nostalgie¹ n’est pas près de quitter les lieux. Mais ça tombe bien, car elle est l’un des principaux ingrédients qui assaisonnent le tourisme du XXIe siècle à Cuba…
¹ Attention il ne s’agit pas de regretter la mafia, mais de nostalgie, un état d’âme lié au sentiment de perte…
Notez que vous pouvez visiter le Riviera sans être client (heureusement pour moi, vu les prix) et passer un moment à contempler la mer depuis sa baie vitrée, sans que quiconque ne vous demande rien.
Sources : Igor B. Polevitzky and the Habana Rivera Hotel sur le site whaiv.us et La historia del primer hotel de lujo en Cuba, Hotel Riviera sur le site todocuba.org.
Voir aussi un joli texte et plein de photos : Arquitectura & moralidad, sur le blog de David Pallol.
Photo à la Une : l’Hôtel Riviera, sur le Malecon de La Havane : contre vents et marées, depuis 60 ans.
Merci !!!!
D’une mafia à l’autre : autoritarisme, appropriation des ressources, exécutions sommaires, népotisme… mmmm…. suivez mon regard….
Un beso.