New York-La Havane : les statues jumelles de José Martí

En 1959, après avoir achevé sa statue équestre de José Martí, Anna Hyat Huntington¹ décide d’en faire don à la ville de New York. Mais l’œuvre devait languir dans un hangar du Bronx pendant 5 ans avant d’être installée à Central Park, où on peut encore l’admirer au niveau de 59th Street.

Comme on le sait, 1959 est une daté clé dans l’histoire de Cuba et des États-Unis, qui ne tardèrent pas à rompre leurs relations diplomatiques. En toute logique, le Département d’État était contre l’érection de cette statue dans un lieu public.

Après moult discussions entre pro et anti, la statue – qui représente Martí à cheval, stoppé en plein élan par la balle qui devait mettre fin à sa vie – fut finalement montée en 1965. Cependant, cet heureux dénouement ne marquait pas la fin des étranges aventures de cette œuvre, empêtrée malgré elle dans les remous de l’Histoire.


José Martí (1853 – 1895) était un homme politique, philosophe, penseur, journaliste et poète cubain. Mort au combat au début de la guerre d’indépendance, il est le héros national, martyr et apôtre de Cuba.

Ce que l’on sait moins c’est qu’il est célébré aussi de l’autre côté du Détroit de Floride, comme l’un des grands penseurs et promoteurs des idéaux pan-américains, au même titre que Simon Bolivar. Au fil de ses luttes, les déportations et exils l’ont amené à bien connaître l’Europe et surtout les États-Unis.


Le jour du 165e anniversaire de la naissance de Martí, une réplique de la statue américaine était inaugurée officiellement à La Havane. Cadeau de mécènes réunis par le Bronx Museum of the Arts, elle était déjà en place en octobre 2017… mais Cuba tenait à ce que le dévoilement coïncide avec l’anniversaire du patriote.

Copie de la statue José Martí par Anna Hyat Huntington, La Havane 2018. Droits réservés.

2,5 millions de dollars : c’est la somme réunie pour pouvoir fabriquer, expédier et installer cette statue dans la capitale cubaine. Et le reste – la portée symbolique de ce geste longuement réfléchi – ça n’a pas de prix, comme dirait l’autre.

Triste coup du sort, Holly Block, qui avait porté ce projet à bout de bras, est décédée en octobre 2017. Directrice du Bronx Museum, elle travaillait obstinément à construire des échanges culturels entre Cuba et les États-Unis. Contournant la thèse officielle selon laquelle les collaborations entre les deux gouvernements étaient impossibles, elle décida que cette statue serait un cadeau d’un peuple à un autre et trouva le moyen de lever des fonds privés pour parvenir à ses fins.

Coreen Simpson Flavor Flav’s Teeth 1988 photo The Bronx Museum of the Arts. De l’exposition Wild noise / Ruido Salvaje, 2016.

Pas plus qu’en 1959, le projet ne remportait l’enthousiasme de ses collègues : plusieurs membres du conseil d’administration ont même démissionné, exprimant leur malaise devant cette initiative. Il faut dire qu’elle allait de pair avec une exposition croisée entre le Bronx Museum et le Museo de Bellas Artes de La Havane : Wild Noise/Ruido Salvaje, elle aussi plutôt controversée.


Des milliers de représentations de Martí sont visibles à La Havane et dans tout Cuba. À commencer par les bustes présents dans chaque entrée d’école ou d’administration.

De la plus modeste à la plus monumentale, elles rythment votre découverte de la ville et du pays. Voici un petit rappel des plus connues :


Le dernier conflit (à ce jour) au sujet de la statue patriotique a eu lieu en octobre dernier, lorsque des journalistes ont remarqué deux coquilles dans le texte gravé à la base de la statue.

Ça ne s’invente pas : le mot cuidad inscrit à la place de ciudad et c’était l’incident diplomatique de trop… Mais les erreurs furent vite corrigées et la statue a finalement été dévoilée le 4 janvier 2018 sur la place du 13 de Marzo, face au Museo de la Revolución.

Ce jour-là, la capitale cubaine affrontait un frente frio, rare manifestation météorologique qui oblige les Cubains à sortir leurs écharpes et pullovers… comme une métaphore de l’état des relations entre les deux pays voisins. L’énorme statue aura-t-elle contribué à réchauffer l’atmosphère ?


¹ Anna Vaughn Hyatt Huntington (1876 – 1973) était parmi les sculpteurs les plus remarqués au début du XXe siècle. À une époque où les artistes femmes étaient rares, elle exposait dans le monde entier. Dans un style réaliste, elle se spécialisait dans les statues équestres et animalières. Elle est notamment l’auteur de Joan of Arc, installée sur Riverside Drive : le premier monument de New York dédié à une femme ET réalisé par une femme !

Source : Martí statue donated by Americans to be unveiled in Cuba, un article de Mimi Whitefield dans le Miami Herald.

Photo à la Une : calle 14, esquina 23, La Havane, l’un des innombrables bustes de José Marti que l’on trouve un peu partout à Cuba.

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