Cuba, ciné, crépuscule, Epicentro demain il fera beau

Privée de Cuba depuis des mois, je me précipite au ciné pour voir Epicentro de Hubert Sauper : l’objet cinématographique le plus déconcertant de ces dernières années.

Ni documentaire ni fiction, ce film en forme de journal de bord tourne en rond en rasant les murs de Centro Habana, plongé dans une lumière crépusculaire. Il n’en sortira que pour une brève incursion du côté de la centrale sucrière Hershey ou une virée en décapotable dans le Vedado.

Epicentro, Hubert Sauper, 2017. Capture d’écran : pour des lendemains plus ensoleillés.

Hanté par la crainte de passer pour un touriste lambda, le réalisateur s’attache aux lieux les moins glamour de la capitale cubaine et engage le dialogue avec de parfaits inconnus.

Notamment des enfants, qui vont le guider dans les solares du quartier Colón, les cours de danse dans des cinémas désertés, les logements où l’on s’entasse dans les couloirs, les cuisines déglinguées, les toits où l’on respire un peu… Avant qu’à son tour il ne les fasse entrer dans un hôtel de luxe, pour y goûter goûter la dolce vita des touristes fortunés. Ok mais quel est le sens de tout cela ?

Synopsis et demi

Il y a bien une intention annoncée au départ : démontrer que l’affaire de l’explosion du Maine en 1898 (rappel : cet épisode a provoqué l’entrée en guerre des États-Unis contre la couronne espagnole et pour l’indépendance de Cuba) serait l’épicentre de l’impérialisme américain, coïncidant comme par hasard avec la naissance du cinéma, donc de la propagande.

Pour cela, on convoque le regretté Juan Padrón, le père du cinéma d’animation a lo cubano, qui se prête avec plaisir au jeu du vrai et du faux au cinéma. Mais bien vite le film se barre dans d’autres directions, comme happé par les mystères des nuits de La Havane.

Mais où est passée la rage du Cauchemar de Darwin ? Dans Epicentro, le mot Utopie est souvent prononcé mais la situation politique de l’île n’est ni abordée, ni commentée. Les enfants récitent les leçons d’histoire révolutionnaire et les adultes sont d’accord sur une chose : tous leurs problèmes viennent de ce hijo de puta de président des États-Unis !

Epicentro, Hubert Sauper, 2017. Capture d’écran : quand les langues se délient prudemment.

Epicentro, Hubert Sauper, 2017. Capture d’écran : les ruines d’une utopie.

Tentative d’objectivité ? Foi dans le cinéma qui sait si bien faire parler les images ? Mystère.

Les bêtes et la belle

Petit plaisir pervers : Epicentro a été tourné en 2017, autant dire il y a un siècle. Les paquebots de croisière déversaient régulièrement leur flot de touristes sur les quais de Habana Vieja et dans les bars propices aux rencontres tarifées. Et ces touristes affreux, sales et méchants (ou plutôt pitoyables et suffisants), ils en prennent pour leur grade devant la caméra sans pitié de Hubert Sauper. C’est déjà ça !

Enfin, vers le fin du film, on comprend le sens de ce long traveling d’apparence erratique : en fait, la caméra décrivait des cercles concentriques et amoureux autour de la maison de Oona Castilla Chaplin, actrice hispano-britannique et, oui, petite fille de… Quand on connaît l’attachement des Cubains à la figure de Charlie Chaplin, on se dit que la boucle est bouclée.

Il faut prendre ce film tel qu’il est : avec ses lacunes et ses moments de grâce. En attendant d’aller fouler de nouveau les rues de La Havane pour voir de ses propres yeux…

Epicentro, Hubert Sauper, 2017. Capture d’écran : rencontre éphémère sur le Malecón.

Epicentro, Hubert Sauper, 2017.
Documentaire, couleur, 1h45.
Distribué en France par Les Films du Losange.
Grand prix du jury, Sundance Fim Festival 2020.
Avec Hubert Sauper, Oona Castilla Chaplin et les habitant-es de Habana Centro, qui sont toutes et tous cités au générique.

Image à la Une : photogramme de Epicentro, Hubert Sauper 2017.

2 réflexions sur « Cuba, ciné, crépuscule, Epicentro demain il fera beau »

  1. Je ne dirais ni plus ni moins, pas mieux… Merci pour cette belle critique, amiga.

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