Avec Chernobyl, série HBO immensément populaire à Cuba¹, revient la mémoire de la plus grande catastrophe environnementale du XXe siècle.
Mais aussi une « histoire dans l’histoire » : celle de la plage de Tarará, devenue planche de salut pour des milliers de civils soviétiques entre 1990 et 2011.
Officiellement, il s’agit de solidarité pure. Mais n’oublions pas que l’URSS venait d’interrompre son soutien politico-logistico-économique à Cuba… ce qui confère à cet épisode un mystère qui reste à élucider.
Un film et une expo
Hasard du calendrier ? En ce mois d’août 2019 deux événements culturels viennent nous rappeler cette époque : une exposition à la Fototeca de Cuba et un film qui sort en salles à La havane.
Documentos extraviados, Niños de Chernóbil en Cuba donne à voir et entendre des images en noir et blanc retrouvées par la plasticienne péruvienne Sonia Cunliffe, ainsi que des voix (médecins, patients, interprètes) qui témoignent de ces moments tragiques.
L’artiste a mis des années à avoir accès aux archives, mais à partir de 2015 elle a pu, avec l’aide de toute une équipe, entreprendre le voyage dans le temps pour reconstruire cette histoire.
Celle de petits enfants ukrainiens qui débarquent d’un avion à l’autre bout du monde, pour y soulager les maladies les plus diverses, toutes liées à Tchernobyl.
Un traductor (2018), film de Rodrigo et Sebastián Barriuso (deux frères cubains installés au Canada), met l’accent sur le point de vue cubain : celui d’un prof de littérature russe auquel on ordonne de venir exercer ses talents de traducteur auprès des enfants soviétiques hospitalisés.
En pleine période de pénuries en tous genres, le héros aura l’occasion de mesurer le prix d’une telle générosité…
Tarará express
Le quartier résidentiel de Tarará, à 17 Km du centre ville, est sorti de terre par la volonté d’un entrepreneur nommé Webster, dans les années 50 du XXe siècle. C’était l’un des premiers quartiers fermés d’Amérique Latine, avec accès privé à la plage : 400 résidences, Yacht Club, église, magasins, cinéma, marina…
Après la Revolución on y a logé quelques héros (notamment Che Guevara, adresse sur demande), puis il est devenu « Ciudad de los Pioneros », autrement dit une immense colonie de vacances avec parc d’attractions. Certaines villas accueillaient les jeunes filles du contingente Ana Betancourt, époque Campagne d’Alphabétisation.
En mars 1990, commence une période moins joyeuse avec l’accueil et le traitement de milliers d’enfants ukrainiens. Leurs affections vont des maladies de peau (vitiligo, alopécie…) aux cancers les plus dévastateurs, souvent doublés d’un stress post traumatique intense. Ils reçoivent des traitements de pointe et d’autres vieux comme le monde : soleil et baignade.
Les enfants sont scolarisés, accompagnés de leurs parents, le tout aux frais de l’État Cubain, jusqu’en 2011. Une entreprise qui mobilise des centaines de professionnels de santé, malgré la crise économique.
Avec le départ des derniers patients soviétiques, une phase de réhabilitation tente de redonner un attrait touristique à ce quartier, idéalement situé en bordure d’une belle plage. Mais la vocation fraternelle du lieu perdure, avec l’accueil de patients aveugles Vénézuéliens ou de jeunes Chinois venus apprendre l’Espagnol…
Actuellement, l’État y loue une petite centaine de casas dont les prix oscillent entre le trivial et le luxueux, selon leur état et leur proximité de la plage. Ces villas hébergent des familles de vacanciers nationaux et, parfois, de folles soirées gay qui débutent en bord de Malecón et viennent de poursuivre loin des regards mais près de la mer. Voyez l’excellente BD Bim Bom, Historias de Lucha pour plus de précisions…
Et maintenant ?
Le bus touristique qui part du Parque Central en direction des Playas del Este traverse Tarará. Honnêtement, on a la sensation d’une cité fantôme, notamment lorsque l’on contourne l’ancien Centro Cultural du camp de pionniers, avec ses meurtrières de béton.
Mais l’officielle Agencia Cubana de Noticias vient d’annoncer que les premiers 50 jeunes ukrainiens (enfants de ceux qui ont vécu la tragédie), étaient sur le point d’arriver pour reprendre leurs traitements. Malheureusement, ils souffrent des mêmes maladies que leurs parents.
C’est qu’on n’efface pas une catastrophe nucléaire et des décennies de coopération en une seule génération.
¹ Comme bien d’autres contenus audiovisuels, cette série entre sur l’Île grâce au paquete semanal, un bouquet de programmes vendus sur clef USB sans plus de préoccupations pour les droits d’auteur et autres formalités.
Un Traductor : Production (Canada—Cuba) A Creative Artisans Media and Involving Pictures presentation. Producteurs : Sebastian Barriuso, Lindsay Gossling.
Réalisateurs : Rodrigo & Sebastian Barriuso.
Scénario : Lindsay Gossling.
Camera (color, widescreen, HD): Miguel Littin-Menz.
Montage : Michelle Szemberg.
Avec : Rodrigo Santoro, Maricel Alvarez, Yoandra Suarez, Nikita Semenov, Jorge Carlos Perez Herrera, Genadijs Dolganovs, Milda Gecaite, Osvaldo Doimeadios, Eslinda Nunez.
Sources :
> Chernóbil : sobreviviendo a la radioactividad – El Comercio (Pérou).
> The Many Faces of Tarara, Luz Escobar, 14ymedio.
> Voir aussi les photos de Tarará aujourd’hui dans l’article Tarará, días tristes sur le site Cubalite et les photos de Laura Kleinhenz qui a documenté le séjour des enfants ukrainiens à Cuba, sur le site Alexia Foundation.
Photo à la Une (auteur inconnu) : Scène de plage en apparence ordinaire, les enfants de Prypiat, près de Tchernobyl, sont soignés à Tarara, Cuba.