Quel est l’avenir de Cuba ? Bien malin qui peut y répondre. En revanche, concernant son passé et l’origine de ses habitants, on en sait plus aujourd’hui grâce à la science : ostéo-archéologie et étude de l’ADN ancien nous conduisent sur les traces des premiers Cubains.
« La maldita circunstancia del agua por todas partes « ? Pas sûr. Car c’est par la mer que l’île s’est peuplée, bien que les Caraïbes soient parmi les dernières régions des Amériques colonisées par l’être humain. Aujourd’hui, avec l’étude de 93 génomes des premières populations, nous savons que la conquête des îles a débuté il y a plus de 8 000 ans, en plusieurs vagues migratoires, venant du Nord et du Sud.
Cette première étude du génome des Caraïbes – connue depuis juin 2020 grâce à une publication dans la revue Science – est dirigée par Hannes Schroeder de l’Université de Copenhagen. Une collaboration avec des scientifiques de l’Institut Max Planck (Munich), de Instituto de Biología Evolutiva (Barcelona) et de nombreux centres des Pays-Bas, Puerto Rico, Canada, États-Unis et Cuba.
Retour en arrière, il y a 8 000 ans, lorsque les premiers humains arrivent à Trinidad (Petites Antilles). Pendant les millénaires postérieurs, ce petit groupe colonise progressivement toutes les îles des Caraïbes jusqu’à Cuba.
Mais il y a 2 800 ans environ, grand chambardement : de nouvelles populations venant du sud abordent les îles, porteuses de connaissances qui leur permettent d’utiliser la céramique et l’agriculture. On les appellera d’ailleurs « los cerámicos ». Un peu comme en Europe, lorsque les chasseurs-cueilleurs du mésolithique ont été colonisés par les agriculteurs du néolithique…
Portrait de groupe avec 93 génomes
Trouvés à Cuba, aux Bahamas, à Puerto Rico, en Guadeloupe et à Santa Lucía, plus de la moitié d’entre eux sont « pré-céramiques » et ont entre 3 200 et 700 ans d’âge. Tandis que les autres, los cerámicos, datent de 1 500 à 400 ans, c’est à dire possiblement après le débarquement des Espagnols.
L’analyse de l’ADN révèle que les plus anciens (au moins 4 000 ans) avaient des points communs avec les groupes paléoindiens d’Amérique du Nord, mais aussi du Sud – notamment du delta du Río Orinoco (actuellement au Vénézuela). L’ADN révèle aussi qu’à un moment, situé entre 8 000 et 5 000 ans en arrière, il y eut contact entre les premières populations de Cuba et celles d’Amérique du Nord.
Une traversée, des traversées
La distance n’est pas si grande, mais la traversée devait être bien hasardeuse, compte tenu des moyens sommaires dont disposaient ces peuples. Je vous laisse faire le parallèle – ou pas – avec la situation que nous connaissons au XXIe siècle…
La migration des cerámicos, la plus récente, est aussi plus évidente dans le génome des caribéens. D’ailleurs les descendants de ces cerámicos sont ceux que Christophe Colomb a trouvés en arrivant : les Taïnos et Ciboneys qu’il s’est empressé de décimer.
N’empêche, il existe encore dans les îles des personnes dont le génome conserve des traces de ces ancêtres, qui n’ont donc pas été exterminés à 100%. Sans compter les mots qu’ils nous ont légués : cacique, huracán, tabaco et… barbacoa !
Mais malgré des siècles de coexistence de ces deux peuples, il existe des différences génétiques marquées entre les premiers arrivants (du Nord) et ceux venus du Sud. Ce qui laisse à penser que le métissage n’était pas courant du tout.
On ne sait pas si les derniers se sont substitués aux premiers ou les ont absorbés. On comprend bien en revanche qu’il existait, à l’époque pré-colombienne, un multiplicité de cultures insulaires, déjà en relation avec le continent Américain.
« Les Caraïbes, avec la Polynésie, sont parmi les plus jolis exemples d’occupation par l’être humain, qui s’est lancé à coloniser une île après l’autre. »
Carles Lalueza Fox, Unitat de Biologia Evolutiva de la Universitat Pompeu Fabra, Barcelona
Deux études pour une question
Une autre étude dirigée par David Reich (Harvard) et deux universités cubaines (La Havane, Matanzas), porte sur le génome de 263 individus. Elle met en lumière la mobilité des populations caraïbes et les liens de parenté qui existaient entre personnes très éloignées géographiquement. À l’image de cet ancêtre enterré aux Bahamas, alors que son « cousin génétique » a été trouvé en République Dominicaine, à 600 miles de distance.
Cette étude se propose aussi d’estimer la taille des populations étudiées : Elle en conclut que le nombre de personnes vivant dans les îles avant l’envahissement par les européens, était bien inférieur à ce qu’on avait imaginé sur la foi des récits des conquistadores.
Christophe Colomb avait-il intérêt, lui aussi, à gonfler son bilan pour obtenir des crédits et impressionner ses commanditaires ?
Bartolomé de Las Casas, après lui, aurait même évoqué 3 millions de personnes. Mais les scientifiques d’aujourd’hui pensent qu’il s’agissait plus probablement de quelques dizaines de milliers d’âmes pour les Grandes Antilles (Cuba, Hispaniola, Jamaica et Puerto Rico).
Ce que ça m’inspire ?
À la lumière de ces études remarquables, moi qui ne suis pas scientifique pour un peso, je comprends surtout la complexité des sociétés caribéennes pré-colombiennes et leurs multiples connexions avec le continent américain.
L’archéologie et la biologie nous remettent les idées en place : Après tout, que sont 65 ans d’isolement et de déni, comparés à des millénaires de relations bilatérales ?
Sources : El análisis del ADN revela que la colonización del Caribe comenzó hace 8000 años y en varias oleadas, article de Elena Camacho sur le site adiós cultural et Investigación a partir del ADN antiguo devela la historia genética del Caribe previo al contacto con los europeos sur Cubadebate.
Ancient Genomic Insights Into the Early Peopling of the Caribbean, étude de Kathrin Nägele du Max Planck Institute.
Pour les plus calé-es d’entre vous, voici l’article paru dans la revue Nature : A genetic history of the pre-contact Caribbean, avec ses graphiques qui mettent en lumière les affinités génétiques des peuples pré-colombiens.
Photo à la Une : On traverse le Rio Yumuri à pied, au niveau de Boca de Yumuri, une petite communauté à l’est de Baracoa dont on dit qu’elle abrite des descendants de Tainos.