Le documentaire débute là où le train s’arrête : à Falla.
À Falla il n’y a rien. Pas de route, pas de maisons en dur, pas de matériaux de construction ni d’argent pour en acheter, pas de films dans la maison de la culture, pas d’argent pour y réparer les portes, pas d’espoir, pas d’avenir… Des bovins errants (des élevages d’État) qui dévastent les champs de canne (privés), pas de récoltes ou si peu.
Des animaux abattus en cachette, des carcasses abandonnées dans les haies… Pas de papas : ils sont en prison car ils ont tué la vache. L’eau qui fuit jour et nuit, pas d’argent pour réparer les tuyaux, pas de matelas dans les chambres : ils ont pris l’eau… pas le courage de l’avouer aux voisins alors on ferme sa porte.
Et pourtant : une institutrice à la retraite, un animateur de maison de la culture, un jeune amoureux qui veut arrêter de boire, un agriculteur qui n’a pas peur de crier sa révolte, une femme qui pique une colère parce que les secours promis n’arrivent pas, une dame qui cultive son jardin, un jeune homme qui dénonce le racisme…
…Et un train d’un seul wagon qui s’arrête de temps en temps en travers du chemin de terre, pour rythmer les jours semblables aux jours. Ce Tren de la linea Norte est à la fois un prétexte pour revenir filmer les habitants de Falla et… le seul moyen d’arriver dans ce lieu-dit qui a sombré à la suite d’un redécoupage administratif, d’un ouragan et de longues années d’oubli.
L’un des quartiers s’appelle d’ailleurs El Miedo, mais une habitante rappelle que son vrai nom c’est Camilo Cienfuegos. En effet (tout comme Gérard Philipe en France) le héros a donné son nom à une multitude de places, quartiers, théâtres, écoles et lotissements construits après 1959. Le simple raccourci entre ces deux appellations donne une idée de la chute vertigineuse vécue jour après jour par les habitants de Falla. Un autre quartier se nomme Los Cartones, devinez pourquoi.
Le réalisateur Marcelo Martín a passé son enfance dans les parages, quelque part entre Ciego de Ávila et la côte nord où fleurit le tourisme de masse. Est-il besoin de préciser qu’il a eu du mal à achever le tournage – pour toutes sortes de raisons – et que son film poursuivra sa carrière dans les festivals engagés plutôt que dans les salles de la calle 23 à La Havane ? C’est qu’en matière de documentaire comme de voyages ferroviaires, il est dangereux de se pencher au dehors…
Le film est diffusé sous-titré en anglais (c’est la version que j’ai vue au HFFNY) et si vous le repérez dans une programmation, courez-y.
Dernière précision : Santiago Feliú avait commencé à composer la musique… mais après son décès inattendu les frères Harold et Ruy Adrián López-Nussa ont repris le travail. résultat ? Une composition à 6 mains qui accompagne et soutient la dramaturgie des images.
Dernière minute : El Tren de la Linea Norte vient d’obtenir le Premio Humberto du meilleur long métrage documentaire au Festival Internacional del Ciné Pobre de Gibara !
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El tren de la LInea Norte, 80′ (2013), scénario et réalisation Marcelo Martín, photographie Ernesto Calzado, montage Daniel Diez, Jr. La production a été bouclée avec le soutien du Centro Memorial Martin Luther King, une des nombreuses organisations cubaines d’inspiration chrétienne qui œuvrent à « une théologie populaire, critique, libératrice et contextualisée ».
Image à la Une et toutes les autres : El tren de la linea norte (2013) Marcelo Martin. Captures d’écran, droits réservés.