Mélancolie ? On annonçait depuis des années la réouverture du Sloppy Joe’s, c’est chose faite. Et pourtant, il se trouve des observateurs pour trouver que ce n’est plus comme avant…
Et d’autres comme Pedro Juan Gutiérrez pour s’en foutre royalement¹.
Dans un post récent sur son blog (je n’aurais pas l’outrecuidance de prétendre le traduire²) il s’étend longuement sur le Sloppy Joe’s de Matanzas, ou plutôt sur La Marina, le bar à putes voisin où il lisait des quantités industrielles de comics et admirait en secret une dame attractive destructive aux yeux cernés et à la démarche explicite…
Mais les années 60 signent – provisoirement – la fin des bars interlopes et Pedro Juan part pour le service militaire. Des années plus tard, il entend parler du Sloppy Joe’s de Cayo Hueso (Key West) et vaguement de celui de La Havane. Sans surprise, son décor théâtral et ses prix prohibitifs ne lui inspirent que dédain.
Nunca segundas partes fueron buenas. Y supongo, más bien espero, que el Sloppy Joe de Matanzas no lo reabran nunca jamás. Ya no tiene sentido. Sería como si en Pompeya intentaran que la ciudad funcione de nuevo.
Pedro Juan Gutiérrez
À ce stade du récit quelques repères historiques s’imposent :
1918 : Un immigrant galicien du nom de José García ouvre ce bar ordinaire dans ce quartier ordinaire de la capitale. Mais la prohibition aux États Unis (1920 – 1933) jette de pleins paquebots d’Américains assoiffés dans les bars et boîtes de nuit de La Havane. L’entregent d’un client régulier, un certain Ernest Hemingway, fait le reste et le Sloppy Joe’s devient…
L’endroit où boire et être vu
On cite toujours Noël Coward, Frank Sinatra, John Wayne… mais la clientèle n’était pas toujours aussi chic, comme en témoigne la photo ci-dessous :
En 1958 Carol Reed y tourne des scènes de Our Man in Havana, d’après l’hilarant roman de Graham Greene. Il ne le sait pas alors, mais c’est le chant du cygne. Très peu de temps après, l’établissement est nationalisé et vivote jusqu’à sa fermeture en 1965.
Plus de 40 années passent…
Avec la vague des restaurations entreprises dans La Habana Vieja par l’Oficina del Historiador, on se souvient de son spectaculaire bar en acajou de 20m de long, de son fort pouvoir d’attraction touristique… et la renaissance est amorcée en 2007, grâce à des apports divers et même des dons de collectionneurs privés !
Réouverture en 2013, communication à tout va, tournages… Le bar est bel et bien ressuscité. Mais pour qui ?
En décembre et janvier dernier il était rempli à toute heure de groupes de touristes en virée organisée et minutée. L’espace était saturé de perches à selfie autant que de verres à mojito. Pas un seul cubain ne passait la porte, si ce n’est pour y travailler. En revanche, beaucoup d’habitants du coin, sous les arcades non encore restaurées, tenaient sur leur pas de porte un pauvre commerce de reliques et photos d’époque, garanties authentiques. Happy hour, sad times.
C’est là que j’entre brièvement en scène pour une conclusion moins amère : je finis par trouver une petite place au bar et – vu les prix sur la carte – me décide pour un café qui s’avère… délicieux. Quel luxe !
¹ À propos de royal, le film El Rey de La Habana, adapté de son roman du même nom, sort ces jours-ci dans le monde hispanique. Ainsi que son roman Fabian y el Caos, non encore traduit en français.
² Mais si quelque non hispanophone souhaite lire une version française amateur, qu’il laisse un message sur cette page.
Le Sloppy Joe’s Bar se trouve Calle Ánimas, esquina Zulueta, à deux pas du Museo de Bellas Artes, du Prado et du Parque Central. Vous ne pouvez pas le rater !