Adios Cubana

Tragique nouvelle venant de Cuba : un avion de ligne s’est écrasé peu après son départ de l’aéroport José Marti. Des 110 personnes qui étaient à bord, il n’y a que 3 survivants. Vous apprenez cela en rentrant du boulot, restez sidérée un moment, cherchez partout des informations sur les victimes, puis sur les raisons de l’accident…

Vous pleurez. De rage, de compassion, de ne pas pouvoir communiquer avec vos amis sur place… Puis, et c’est sans doute normal, vous vous remémorez vos propres expériences aériennes sur ce petit bout de terre entouré d’eau, là-bas, dans les Caraïbes…

Je ne monterai plus jamais dans un avion de Cubana de Aviación

Mon premier vol Cubana en 2012 : un Ilyushin au départ d’Orly…

Pourtant, j’ai apprécié à plusieurs reprises le vol direct Paris – Santiago. C’était pas le luxe mais je m’en fichais un peu. Pourtant, des accidents arrivent à toutes les compagnies, même les mieux notées. Pourtant, j’ai eu bien peur dans un vol Iberia, ce qui ne m’a pas empêchée d’y retourner…

Mais j’ai le pressentiment qu’au delà des vies humaines sacrifiées – pour la plupart des habitants de Holguin – le drame d’hier va faire une ultime victime : l’aviation civile cubaine. En effet on se demande comment une compagnie déjà si mal en point pourrait se relever d’une telle tragédie.

Dernier vol pour Santiago

En juillet dernier, j’embarquais au terminal des vols intérieurs pour aller découvrir le carnaval de Santiago de Cuba. J’étais tout à ma joie et mon impatience (j’adore prendre l’avion). Erreur, il ne faut jamais être impatient à Cuba.

Après nous avoir laissés zoner dans l’aéroport – sa cafeteria avec rien à manger, ses affiches délavées, ses toilettes déplorables et ses cafards écrasés – on nous a enfin entassés (j’allais écrire enfournés) dans un minibus pour nous amener au pied de l’appareil convoité.

Non ceci n’est pas un aquarium : c’est la cafétéria du terminal des vols intérieurs, à l’aéroport José Marti de La havane.

Là, nouvelle attente à petit feu, pendant 2 heures. Enfin nous sommes autorisés à fouler l’escalier métallique. Entrée en dernier, je ne trouve pas ma place. Un tiers des fauteuils sont inutilisables, pour une raison mystérieuse. L’hôtesse est moyennement aimable. Mais je ne compte pas voyager debout alors elle se décide à me trouver une place. Le café froid est servi dans des gobelets mous… etc. etc.

Sur le coup j’ai trouvé ça, disons… folklo, mais j’étais quand même bien contente d’arriver à Santiago sans passer 12 heures dans un bus. Je ne m’en doutais pas alors, mais c’était sans doute un des derniers vols intérieurs qui ait fonctionné à peu près normalement.

Car depuis cet automne, on entendait très souvent parler de vols annulés ou remplacés par des autocars (merci bien). Selon un bagagiste du terminal 1, témoignant dans El Estornudo, « la semaine dernière aucun vol national n’a fonctionné car des 5 avions disponibles, 4 étaient en panne. C’est pour ça qu’ils ont loué le Boeing »…

À ce stade de déconfiture, l’accident paraissait – c’est affreux de le dire – prévisible. Pourtant, tout avait plutôt bien commencé, il y a presque 90 ans…

Ascension et chute d’une entreprise cubaine

Une des premières publicités pour la Compañia Cubana de Aviación, 1929.

L’aviation commerciale cubaine est née d’investisseurs Estadounidenses en 1929. Comme bien d’autres secteurs de l’économie de l’île, elle était totalement dominée par les voisins du Nord. En 1959, avec le nouveau régime bientôt suivi d’un embargo économique, changement de décor : Cuba entre dans l’orbite de l’URSS et devient l’unique pays américain à utiliser des avions fabriqués à l’Est.

De ce fait, des années 60 aux années 80, pendant que les autres pays latino-américains modernisaient leur flotte avec des Douglas, Boeing puis Airbus, la compagnie « nationale » cubaine volait dans sa bulle sur des Antonov, Ilyushin et Yakolev, tout en tentant de conserver en état les vieux DC-3 hérités du passé. De toutes façons, le trafic aérien était faible et le maintien d’une compagnie nationale plus stratégique que commercial.

Accidents mortels

En octobre 1976, un avion de Cubana effectuant un vol depuis La Barbade s’abîmait dans l’Atlantique. On a su assez rapidement qu’il s’agissait d’un attentat (déjà…) perpétré par des agents opposés au régime cubain.

Jusque dans les années 90, malgré une faible activité, la compagnie  a dû déplorer plus d’un accident. Le pire remonte à 1989, dans des conditions similaires à celui de ce vendredi : un Ilyushin s’est écrasé peu après son décollage de José Marti, provoquant la mort des 126 personnes à bord et de 24 personnes à terre.

À partir de la chute de l’URSS, la flotte cubaine a commencé à vieillir sans espoir de retour, les pièces de rechange devenant de plus en plus introuvables. Espérant beaucoup de l’essor du tourisme, Cubana a cherché à se développer en louant des avions à des compagnies étrangères pour maintenir un trafic régulier. Au début, il s’agissait d’appareils français, espagnols, lituaniens ou chiliens. Des relations commerciales fragiles qui s’achevaient souvent faute de paiement…

Pourtant l’enjeu était de taille : conserver une forme d’indépendance économique (ou symbolique, selon les interprétations) et profiter de la manne touristique dans ce pays minuscule à quelques miles des lignes ennemies.

L’équipage (en espagnol : tripulación) du vol Orly – Santiago de Cuba. Toujours le même année après année. Une pensée pour eux qui sont sans doute déjà au chômage technique.

Mais ces derniers temps (selon diverses sources) la flotte cubaine était réduite à 4 Tupolev et quelques avions russes raisonnablement récents. Plus, pour les vols intérieurs, des Antonov fabriqués en Ukraine. Las… avec le conflit russo-ukrainien, la production de composants s’est arrêtée, obligeant les nouvelles acquisitions de Cubana à rester dans les hangars.

C’est pour cette raison que la petite compagnie mexicaine Global Aerolineas Damojh est soudain sur le devant de la scène : elle avait loué son appareil – équipage compris – à Cubana, pour assurer une partie des vols intérieurs.

Le 737 en question avait près de 30 ans et d’innombrables heures de vol au Japon, au Kazakhstan, au Kenya et au Swaziland, en Indonésie et enfin au Mexique. Des voyages que la plupart des cubains ne feront jamais…


Sur la route de l’aéroport José Marti, janvier 2018 : de la pluie et des larmes.

Cela ne leur est d’aucune utilité, mais je souhaite dédier ce texte aux familles de Holguin et de Guadalajara qui ont perdu leurs proches dans l’accident. En espérant un avenir meilleur.

Source : Cubana, aviación comercial en precario sur le site Havana Live et Nunca se me irá esa imagen: “Como cuando un pelícano se tira al mar” sur le site El Estornudo.

Photo à la Une : Ma dernière expérience Cubana de Aviación, un avion au départ d’un vol La Havane – Santiago, juillet 2017.

4 réflexions sur « Adios Cubana »

  1. Très touchée par cet accident , j’ai pleuré !
    Pauvres gens , c’est si triste ! et comme tu le dis presque prévisible ! connaîtra t’on les raisons de ce crash ? j’ai pris 3 vols intérieurs à Cuba … trés mauvais état des avions , c’est vrai !
    j’ai de la peine pour les victimes!
    ton article est très complet et je te remercie de l’avoir publié
    bien cordialement

  2. Et oui, bien bien triste, mais surtout, jusqu’à quand ?????
    Jusqu’à quand nos frères et nos amis se feront tuer dans des accidents de transports en tous genre, dans les derrumbes, etc !!! ???
    Merci Céline pour la photo des tontons flingueurs, tu n’en rates pas une, c’est vrai que c’était toujours les mêmes !

  3. Merci pour ton commentaire. J’essaie de suivre l’enquête mais ne me fais pas beaucoup d’illusions…

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