Quel est l’artiste contemporain qui vend le plus ? Et celui qui vend le plus cher ?… Avant d’aller plus loin, une précision : Ce qui suit est l’adaptation d’un article publié par la jeune curatrice cubaine Magela Garcés, paru le 7 décembre dernier sur le blog ARTonCuba.
Un texte hilarant (du moins en VO) qui a vite fait le tour de la petite planète « art contemporain à Cuba ». On lit ici ou là que « estas 100 preguntas no dejan pollo con cabeza » c’est à dire n’épargnent rien ni personne, ni l’institution ni la dissidence et pas plus les artistes aimés que les autres…
100 questions qui tuent, saison 1 épisode 1
Vous le savez, pour balancer des énormités sans risque, tout est dans le ton. Pour le texte original cliquez ici. Sinon, j’essaie ci-dessous de le traduire pour en restituer la saveur… Avec quelques remarques et explications que j’assume. C’est parti :
- Quel est l’artiste cubain contemporain qui vend le plus ?
- Et celui qui vend le plus cher ?
- Est-il vrai que, quand l’octroi de licences de travailleur « à son compte » va reprendre, Fabelo ouvrira un magasin pour pallier les carences de Temas ?
- Qui au juste compose la commission qui décide des élus qui vont intégrer le Registro del Creador ?
- Obtenir une carte du Registro del Creador, en dessous de table, ça coûtera toujours autour de 2 000 CUC ?
Pour répondre aux deux premières questions je vous laisse faire vos recherches, car les réponses sont en partie dans les questions suivantes…
À ce stade nous avons compris qu’il existe un registre officiel du « créateur », pour lequel il faut montrer patte blanche avant d’entrer. Et que par ailleurs la malicieuse Magela soupçonne Fabelo, l’un des artistes cubains les plus successful, de projeter d’ouvrir un magasin. Le Rougier & Plé cubain ?
- Combien d’artistes se sont vus retirer leur carte du Registro del Creador, au motif qu’ils avaient participé à 00Bienal ?
- Et lesquels, parmi les participants, ont conservé la leur ?
- Pourquoi ?
- Combien d’artistes émergents sont intouchables ?
- Combien d’artistes consacrés sont intouchables ?
Normalement vous lisez régulièrement serendipia, donc vous savez déjà ce qu’est 00Bienal. Les nouveaux, reportez-vous à l’article La Havane : 2 biennales sinon rien qui vous explique autant que possible pourquoi Cuba compte actuellement deux biennales d’art contemporain, dont l’une a lieu tous les 3 ou 4 ans et l’autre est plus ou moins interdite.
D’où les questions ci-dessus au sujet de la fameuse carte professionnelle qui est accordée (ou retirée) par les autorités.
100 questions qui tuent, saison 1 épisode 2
- Pourquoi, dans le jury du prix Guy Pérez Cisneros de cette année, il y avait même des gens qui faisaient des fautes d’orthographe et de syntaxe ?
- Combien de personnes se sont présentées au Guy Pérez Cisneros cette année ?
- Pourquoi les Cubains résidant à l’Étranger ne peuvent-ils pas participer à ce concours ?
- Pourquoi le Premio Nacional de Artes Plásticas n’est-il accordé qu’aux artistes résidant à Cuba ?
- Quand un-e artiste obtient une résidence ou une bourse à l’extérieur c’est parce que c’est un-e grand artiste ou parce qu’il a les amis qu’il faut ?
Le Guy en question était un fameux critique franco-cubain de la première moitié du XXe siècle. On a donné son nom à un Prix de la Critique d’Art accordé par le CNAP (Conseil National des Arts Plastiques). L’auteur semble suggérer qu’il aurait une valeur légèrement inférieure à une bonne résidence à l’Étranger… qui ne s’obtient pas selon les mêmes modalités.
- Est-il vrai que Anayansi Rodríguez Camejo est mariée à un camarade artiste reconnu ?
- Quel peut bien être le pourcentage entre le nombre de reggaetoneros cubains à Miami et le nombre d’artistes cubains à Miami ?
- Combien la CIA paie-t-elle les artistes qui font de l’art politique ?
- Et combien les paie la Seguridad del Estado ?
- Qu’est-ce que l’art politique ?
Anayansi est représentante permanente de Cuba auprès de l’ONU. Cependant, elle sort avec qui elle veut, hein. Le chapitre « Miami » m’intéresse déjà plus : En effet, si l’on sait que les chanteurs de reggaeton, aux idéaux nettement matérialistes, ont tendance à vivre au bord de piscines à Miami, qu’en est-il de certains artistes ?
Ils font le choix de vivre à l’extérieur de l’Île. D’autres protestent de l’intérieur = font de la politique (bouh !) et sont accusés par certains media (et par la Sécurité de l’État) de toucher des sous de la CIA. LOL.
100 questions qui tuent, saison 1 épisode 3
- Quel est l’artiste le plus révolutionnaire ?
- Et le plus pourri ?
- Quelle est la galerie qui rapporte le plus annuellement ?
- Et laquelle a la meilleure liste d’artistes ?
- Finalement, qui dirige Galería Habana ?
Bon, ben pas besoin de sous texte, là. Galería Habana, en plus d’avoir des jours et horaires d’ouverture plutôt imprédictibles, est une excellente galerie située sur la calle Linea, dans le Vedado. Longtemps seule à promouvoir les artistes cubains, elle est maintenant flanquée d’une ribambelle de galeries d’État.
Lesquelles, et c’est important pour la suite de cet article, ont le monopole de la vente d’œuvres d’art.
- Et qui fait partie de l’équipe organisatrice de la prochaine Bienal ?
- Les réparations adéquates, pour lesquelles le budget de ladite biennale a été redéployé, et ses dates reportées, ont-elles été effectuées ?
- De quoi a vraiment peur l’institution ?
- Où est Rubén del Valle ?
- De quand date la dernière revue Artecubano imprimée ?
La Biennale de La Havane a été repoussée à 2019 après l’ouragan Irma, officiellement pour redéployer les crédits sur des réparations urgentes à effectuer sur les bâtiments culturels du pays. Effectivement, ce serait pas du luxe. Mais Magela pose la question, quoi. Quant à Rubén, il n’est autre que le président du CNAP. Il est souvent demandé au parloir ces derniers temps…
100 questions qui tuent, saison 1 épisode 4
- Est-il vrai que pour imprimer en A3+, si le matériel paraît suspect aux imprimeurs on doit consulter le CNAP et celui-ci doit donner son accord pour poursuivre l’impression ?
- Pourquoi une institution comme, disons, le Fondo Cubano de Bienes Culturales, doit-elle rendre des comptes au CNAP au lieu du MINCULT puisque c’est au deuxième qu’elle est subordonnée et pas au premier ?
- Combien de propositions (œuvres, expositions, réalisées ou pas) ont été censurées cette année ?
- Et en 1978 ?
- Quel artiste fait les meilleures fêtes ?
Voyez qu’entre contrôle et censure, à Cuba comme ailleurs la différence n’est pas de nature mais de degré. La date de 1978 nous ramène au « quinquenio gris », période où le contrôle des intellectuels rendait la vie bien morose et parfois dangereuse. Et malgré, ou grâce à tout ça, on trouve le temps de faire la fête. La preuve est dans ce petit extait de Hotel Roma (2017) de Leandro Feal :
- Où est Abel Prieto ?
- Pourquoi y a-t-il eu tant de changements au poste de Ministre de la Culture ces cinq dernières années ?
- Pourquoi n’y a-t-il eu aucun changement au poste de Viceministre de la Culture ?
- Pourquoi la dernière édition de Post-it n’a-t-elle eu lieu qu’à (la galerie) Galiano ?
- Pourquoi il n’y a pas l’air conditionné à (la galerie) Galiano ?
Abel fut longtemps, et à deux reprises, ministre de la Culture. Comme on reconnaissait Jack Lang à ses vestes col Mao, vous repérez M. Prieto à ses cheveux longs.
Post-It est une expo annuelle destinée à promouvoir les plasticiens fraîchement diplômés de l’ISA. Pour le reste, les questions abordées ici sont un peu techniques pour moi.
À suivre…
100 questions qui tuent, saison 1 épisode 5
- Quel est le chiffre d’affaires annuel du siège cubain de Gallería Continua ?
- S’ils n’ont pas le statut juridique qui leur permette légalement de vendre, comment s’en sortent-ils ?
- Quels impôts paient-ils ?
- Ils paient des impôts ?
- Quel bénéfice, au delà du spirituel, l’Etat cubain obtient-il avec la présence de (la galerie) Continua ici ?
Passage délicat mais nécessaire : Depuis l’ouverture de sa galerie havanaise (après San Gimignano, Pekin et les environs de Paris), Galleria Continua joue un rôle de premier plan dans le développement de l’art contemporain à Cuba, de Cuba, pour Cuba… Et de plus, son équipe participe à la réhabilitation du Barrio Chino où elle est installée.
Oui mais mais mais, puisque la vente d’œuvres d’art est monopole d’État, on peut, par simple curiosité, se demander comment et pourquoi les autorités cubaines ont géré et autorisé l’arrivée de cette galerie privée.
- Et c’est décidé alors, quels seront les « inspecteurs » chargés de faire appliquer le décret 349 ?
- Pour finir, ce décret s’applique seulement dans le secteur privé (non étatique) ?
- Les institutions de l’Etat pourront donc se lâcher ?
- Est-il vrai que l’élément déclencheur de ce décret a été le film de Yimit Ramírez ?
Ah nous y voilà : le Décret 349 ! Késako ? Je vous renvoie à l’article L’art est-il politique ? Même à Cuba ? pour parcourir ce texte de loi qui déclenche bien des conflits en prétendant réguler – et bien entendu contrôler – la création artistique.
En ce moment même, des artistes font des allers-retour au commissariat en raison de leur opposition. Le viceministre de la culture cité plus haut est appelé à dialoguer, les langues se délient petit à petit… Mais le texte va probablement être mis en application.
Et Yimit Ramírez ? Pour résumer, il est l’auteur d’un film qui a été retiré de l’affiche du Festival de La Havane 2017. L’affaire avait provoqué un débat animé entre deux générations des cinéastes, sur le thème du respect dû aux héros… et de la liberté d’expression.
Bon. Et bien voilà pour aujourd’hui. Je vous laisse au pied du sapin avec cette somme de questions essentielles, futiles ou mystérieuses et vous donne rendez-vous le 31 décembre pour les questions de 50 à 100. Que la fête continue, il y en aura pour tout le monde !
Source : Las 100 preguntas del arte cubano de Magela Garcés sur le site ARTonCuba.
Photo à la Une : Adonis Flores, Granada (2011 _ 2013) bronze, acier inoxydable, acrylique. Pour ces 1OO questions sur l’Art Cubain qui font grincer des dents.