Deux biennales d’art contemporain pour La Havane ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, au pays des restrictions en tout genre, c’est pourtant une réalité. Explications :
À ma droite, l’institution Bienal Internacional de La Habana, reconnue internationalement depuis 1984. Bien que ses éditions soient loin d’être vraiment biennales au sens strict, elle draine régulièrement les foules d’amateurs et de professionnels de l’art contemporain.
Ceux-ci, estomaqués par l’ampleur de la manifestation, dans un pays réputé pour ses difficultés économiques, se mêlent dans les rues et les galeries aux cubains qui découvrent à l’occasion que « leurs » artistes sont aussi des stars à l’étranger.
À ma gauche, #00 Bienal de La Habana, une manifestation alternative née par une nuit d’orage au sein d’un collectif d’artistes impatients, frondeurs, autodidactes et, pour toutes ces raisons, pas toujours bien vus par les pouvoirs publics.
Apprenant que la 13e biennale serait repoussée à 2019 (en raison des dégâts provoqués par l’ouragan Irma), ils décident de monter quand même une manifestation indépendante, au printemps 2018 et avec les moyens du bord.
Hein ? Quoi ? Une initiative spontanée ? Alors que les institutions étatiques s’occupent de tout ? Autant vous dire que les débuts furent difficiles. Conférence de presse empêchée, convocation, détention… Mais #00 Bienal aura bien lieu, grâce à l’obstination créative de ses organisateurs et l’appui d’artistes de renom.
À l’affiche
Le programme de #00 Bienal est révélé peu à peu : On sait qu’il y aura des performances dans l’espace public, que Tania Bruguera sera de la partie ainsi que l’artiste autodidacte David Leon, le collectif La Zanja et le poète Amaury Pacheco, déjà repéré pour son activisme à Alamar, au sein du groupe Omni-Zonafranca. On attend bien sûr une forte présence de Luis Manuel Otero Alcántara, à l’origine du mouvement #00 Bienal.
Quant à l’officielle 13e Bienal de La Habana, elle a le temps de peaufiner le programme, mais a déjà communiqué quelques lignes directrices : avec pour thème “la Construcción de lo Posible”, elle s’attachera à présenter l’art contemporain comme « événement vivant et expérience directe ».
Sa section la plus populaire, Detras del Muro, occupera non seulement le Malecon, comme en 2012 et 2015, mais aussi ma chère calle Linea, soit un parcours de 6 kilomètres totalement investi par des œuvres d’art monumentales. Avec la participation de nombreux pays et d’innombrable artistes, on s’attend à une fête exceptionnelle.
Un trait d’union ?
Reynier Leyva Novo vient de proposer un dernier rebondissement dans l’affaire qui divise artistes indépendants et institutions de l’art contemporain : Cet artiste, plutôt conceptuel, repéré internationalement, vient de vendre une de ses œuvres au Consejo Nacional de Artes Plásticas.
Intitulée No me guardes si me muero, elle est constituée d’une urne de verre dans laquelle reposent les cendres… des œuvres complètes de José Martí. Belle réflexion sur la préservation de la mémoire, elle est destinée à intégrer les collections nationales.
Mais coup de théâtre : Reynier Leyva Novo offre le montant de la vente (3 800 CUC, soit dix ans de salaire moyen) à l’équipe de #00 Bienal, faisant ainsi de l’institution le sponsor indirect d’une manifestation qu’elle n’approuve pas franchement.
Reste à savoir si cet acte de courage et d’intégrité – qu’il pourrait aussi revendiquer comme performance à part entière – va servir de trait d’union entre deux démarches au service de l’art… ou le propulser dans la cohorte des esprits libres qualifiés de « dissidents » malgré eux.
À suivre…
Les petits ruisseaux font les grandes rivières : vous pouvez soutenir l’effort de #OO Bienal car la collecte de fonds est toujours en cours. Connectez-vous sur cette page, faites une petite donation et recevez, d’ici quelques semaines, un cadeau magnifique et exclusif.
Source : La 13 Bienal de La Habana será un « corredor cultural » interactivo entre creadores y público sur le site Cubadebate et La #00 Bienal de la Habana recibe involuntario apoyo oficial, article de Veronica Vega dans Havana Times.
Image à la Une : montage réalisé à partir d’une photo de la Peregrinación a San Lázaro de Luis Manuel Otero Alcántara (droits réservés) et d’une photo d’une œuvre de Daniel Buren, subsistant dans la calle San Lázaro après la dernière Bienal de La Habana.