En recherche de sens, en cette fin d’année ? Voici 4 livres à (s’)offrir pour élargir son regard sur la société cubaine. De l’autofiction à l’étude documentée, du roman aux recettes de cuisine… Ces ouvrages très différents ont pour toile de fond la culture afro-cubaine, la faune qui peuple les ambassades du Vedado ou la guerre d’Angola… et un point commun que je vous laisse découvrir. C’est parti :
Un dimanche de révolution
Wendy Guerra reprend la narration à la première personne, après avoir cédé sa voix à Nirvana del Risco, la jeune femme de son avant-dernier roman Negra.
L’héroïne de ce Dimanche de révolution s’appelle Cléo, mais on y reconnaît en transparence la vie de la romancière : faite d’allers-retours entre Espagne, Amérique du Sud et New-York – où elle est éditée et fêtée – et sa maison de La Havane où un vieil ami de la famille la suit comme son ombre.
« Sur cette île, la vie privée est comme l’hiver ou la neige : une illusion. »
Elle écrit de la poésie, guette le moment où la censure qu’elle sent tout autour d’elle va devenir autocensure… Et puis une révélation sur sa véritable identité va l’amener à enquêter sur la génération de ses parents – des privilégiés du régime tombés en disgrâce – en un voyage sans retour.
Bonus : une fois lue la dernière ligne du roman, vous pouvez vous consoler avec les poésies de Cléo qui clôturent l’ouvrage. Vrais ou faux poèmes de jeunesse, on ne sait pas trop… mais ils éclairent joliment la personnalité (aussi narcissique que talentueuse) de la narratrice.
Dangerous moves : performance and politics in Cuba
L’art de la performance est des plus éphémères. Certes, lesdites performances, qui surviennent généralement devant le public des vernissages et biennales, sont abondamment photographiées. Mais l’image ne suffit pas toujours à en véhiculer le sens…
D’autant que les visiteurs que nous sommes sont parfois éberlués par la liberté de mouvement des artistes, comparée à ce que l’on sait de la liberté d’expression à Cuba. Sauf qu’en étudiant le parcours de vie des performers, on s’aperçoit que ce n’est pas si simple.
Performance may have gotten many artists in trouble in the 1980s’ but the art form was « disciplined » in the 1990s by becoming an academic subject.
Dans ce livre paru en 2015, Coco Fusco, artiste et universitaire États-Unienne d’origine cubaine, réunit et commente 30 années de performance. Mieux, elle analyse la relation entre les mouvements artistiques reconnus, les subcultures émergentes (rap, spoken word, artistes autodidactes…) et les démonstrations collectives qui rythment la vie sociale à Cuba : défilés, hommages, carnavals… qui sont des performances aussi, en un sens.
En 3 chapitres et 1 conclusion – Scandalous speaking bodies – An archeology of cuban conduct – Rebellion, retrenchment and retrieval – Autumn of the patriarch – elle nous en apprend tellement sur 3 générations d’artistes, que ça vaut largement la peine de faire l’effort de lire en anglais.
Le fils du héros
Karla Suárez appartient à cette génération née 10 ans après la Révolución, qui a écouté sagement les récits héroïques de ses parents et a fait de solides études, mais s’est pris la Période Spéciale¹ de plein fouet pendant sa jeunesse et a fini par émigrer, tout en conservant des liens très forts avec son île natale.
Son héros, Ernesto (comme par hasard), a 12 ans lorsqu’il apprend la disparition de son père en Angola. Fin du vert paradis des amours enfantines au bord du Rio Almendares. Un difficile passage à l’âge adulte s’ensuivra, malgré de belles amours et de durables amitiés.
L’action se déroule à Lisbonne, de nos jours. Ernesto remonte le fil du temps, affronte une séparation douloureuse et enquête sur la guerre d’Angola. Bon… je vais vous avouer qu’en tant que lectrice, si je ne suis pas subjuguée par le style de l’auteur, je suis cependant charmée par ce portrait de famille de la classe moyenne cubaine. Cette majorité silencieuse qui épouse les hauts et les bas de l’Histoire…
Ici pas d’écrivains rebelles, de fils de diplomates ou de musiciens chéris du régime : juste des papys et mamies, des oncles qui déboulent à toute heure, des soldats qui reviennent et d’autres pas, des voisines et des amis d’école : ce sont eux les vrais héros.
– Tania, c’est un sac des Forces armées populaires pour la libération de l’Angola !
Ma sœur sourit en affirmant que Oui, bien sûr. Les seules choses qui abondaient à Cuba dans les années 90, c’étaient les résidus de la guerre…
La comida afrocubana : Mitos y Leyendas
J’ai gardé pour la bonne bouche ce livre étonnant : un recueil de recettes de cuisine écrit par la grande ethnologue et femme de lettres cubaine Natalia Bolivar !
Issue d’une grande famille créole, combattante de la lutte anti Batista, elle est surtout connue internationalement pour ses recherches sur les religions afro-cubaines. Son livre Los Orishas en Cuba (1990) fait toujours autorité.
Mais pour aujourd’hui nous allons nous intéresser à ce petit bouquin vert que j’ai acquis pour quelques centavos, par un beau matin d’été, à Bayamo (rassurez-vous, il se trouve aussi sur internet, aux éditions Plaza Mayor, voir le lien plus bas). Au premier abord il m’a fait penser au Livre de cuisine d’Alice Toklas (1954) : la cuisine comme lecture du monde et comme témoignage d’une grande histoire d’amour et de littérature.
Dans La comida afrocubana : Mitos y Leyendas, il s’agit aussi d’un sujet bien plus vaste que la bonne chère : La première partie énumère les orishas, les traditions orales et les recettes qui leur sont liés. Elle est d’ailleurs un peu difficile à lire, car pleine de mots mystérieux pour les non initiés : até, obi, tusitas…
Heureusement, la deuxième partie se présente plus simplement comme une suite de recettes classées par thème – recetas de las abuelitas… ou ingrédient – calabaza, quimbombo, maíz… Sans oublier les desserts traditionnels, pas si difficiles à réaliser une fois rentrés en France. Sauf ceux à base de mamey, fruit quasi introuvable sous nos latitudes.
Ah, el arroz con leche saupoudré de cannelle… À déguster cuillère après cuillère, tout en lisant un bon bouquin. Joyeux noël !
n.b. : Merci de commander ces ouvrages chez votre libraire ou sur les sites des éditeurs, mais pas sur une plateforme dont le nom commence par un A et qui concourt à la mort du métier.