Un jour, à la sortie du film Che de Steven Soderbergh, une fille s’est approchée et lui a dit qu’il ressemblait à Benicio del Toro. Il n’a pas relevé. Canek Sánchez Guevara, photographe, essayiste, fan de rock et anarchiste, se décrivait parfois ainsi :
« un oisif professionnel diplômé en Sciences du comportement urbain des rues de La Havane, nanti d’études élémentaires et supérieures acquises à México, Monterey, Oaxaca, Milan, Marseille, Barcelone et dans quelques autres banlieues. De nationalité apatride, il est détenteur de deux passeports, même si l’un d’eux ne lui sert à rien et l’autre, plus ou moins. (…) La presse impérialiste et démagogue l’appelle Le petit-fils du T-shirt. A part ça – assure-t-il – c’est un homme.¹ »
Et oui ! car avoir un grand-père aussi iconique qu’Ernesto Guevara l’a plutôt incité à penser par lui-même qu’à se pavaner dans les cercles de l’intelligentsia. Et s’il a beaucoup voyagé c’est parce que ses parents, opposants politiques parfois clandestins, ne pouvaient pas tenir en place.
Son unique roman, 33 révolutions, est paru récemment en français². Écrit à la première personne du singulier, situé dans les années 90 à La Havane, il décrit la vie d’un homme qui « vit plongé dans l’épopée de la dignité pauvre mais digne, du sacrifice comme modus vivendi et de la résistance comme dépassement ; d’un autre côté – il se torture lui-même – il ne comprend pas en quoi la pauvreté est une œuvre d’art ou l’échelon suprême de l’évolution sociale.³ »
Amateur de musique contemporaine, le narrateur « se demande ce qu’il a fait pour mériter ça – avoir des goûts si éloignés des tropiques où il vit…³ » et observe ses compatriotes se jeter à la mer dans le détroit de Floride avec pour toute embarcation un pneu de camion, pour échapper au « disque rayé » de la vie quotidienne.
Le disque rayé – un 33 tours fatalement – est le motif obsédant de ce récit, jusqu’à la métaphore finale de la révolution faisant un tour complet sur elle-même pour engloutir ses petits-enfants.
Il faut lire ce livre, magnifiquement traduit par René Solis, par amour pour la littérature contemporaine autant que par curiosité pour l’histoire « vue de l’intérieur ». D’autant que 33 révolutions restera l’unique roman de Canek Sánchez Guevara, décédé prématurément en janvier 2015 à México. Le cœur…
¹ Autobiographie de Canek Sanchez Guevara (La Havane, 1974 – Mexico – 2015) in Voyages sans motocyclette, blog paru dans Le Nouvel Obs en 2010, traduit de l’espagnol par Sylvie Moisy (n’est plus disponible en 2021).
² Canek Sánchez Guevara, 33 révolutions, traduit de l’espagnol par René Solis, ed. Métailié 2016.
³ op. cit. p. 36 et 57
Pour en savoir plus sur la vie et la pensée de Canek, voir cet entretien dans Polemica Cubana.
Autre source en espagnol : Bajo la sombra del Che | Cultura | EL PAÍS.