Quand les Dranguet émigraient à Cuba

(…) Dranguet Junior est forcément témoin de cette révolution, si ce n’est acteur. À part ça, il mène une vie sociale intense et fonde le très select Club San Carlos qui réunit les notables de la ville. Conscient de ce que l’abolition de l’esclavage menace sérieusement le modèle économique des cafetales, il réalise quelques opérations financières – notamment en achetant des actions de la Compagnie du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée – qui lui permettent de doubler la fortune héritée de ses parents.


Esclave : adj. inv. personne de condition non libre qui est sous la dépendance absolue et toute puissante d’un maître et qui peut être achetée ou vendue.

Maître-esclave : fondement de l’aliénation humaine selon Hegel, relation falsifiée et déshumanisante.


EN 1850 il fait baptiser le petit Máximo Jamico, dont il devient le parrain. C’est l’enfant d’une esclave de sa mère, si vous voyez ce que je veux dire… Ce fait était relativement répandu et permettait de « libérer » l’enfant naturel, sans contrevenir aux lois de l’église catholique. Et c’est par cette voie détournée que les petits Dranguet commencent à essaimer dans l’Oriente cubain…

La Casa Dranguet en 1939, transformée en « Almacenes Farré y Cia ». Photo droits réservés.

La casa Dranguet aujourd’hui

Les génération suivantes n’ont pas fait l’objet de recherches généalogiques poussées¹, il nous faut donc faire un saut dans le temps jusqu’au XXIe siècle : nous voilà en 2014 lorsque l’Historiador de la Ciudad annonce la création d’un centro para la divulgación y interpretación del patrimonio cafetalero.

Sous l’appellation Los Caminos del Café, deux établissement le composent : la Casa Dranguet à Santiago et l’hadienda Fraternidad, perdue dans la montagne, premier point de chute de la fratrie Dranguet à Cuba. La boucle est bouclée mais quelques travaux sont à prévoir…

Frise chronologique dans les espaces d’exposition de la Casa Dranguet.
Patio de la Casa Dranguet en 2015, peu après son ouverture.
Joli travail de ferronnerie au balcon de la Casa Dranguet.

Depuis 2015 la Casa Dranguet, magnifiquement restaurée, située à une quadra du Parque Céspedes, accueille les visiteurs pour un petit café au calme ou un grand voyage dans le temps. Ses salles d’exposition permettent de se plonger dans l’histoire du café et d’en savoir plus sur le mode de vie des colons français à Cuba.

Les quelques objets retrouvés sur les sites nous apprennent, entre autres, qu’ils mangeaient dans de la porcelaine de Limoges et achetaient des parfums français… avec l’argent gagné sur la sueur et le sang de leurs esclaves qui trimaient dans la montagne. Toute une époque…

Cafetal Fraternidad. Photo © Edgar Briello Maranillo, droits réservés.

Quant au cafetal Fraternidad, il ne se visite pas encore (à la différence d’autres comme la Siberia ou la Isabelica) mais les travaux avancent. Bientôt la propriété, devenue parc écolo-archéologique, pourra recevoir des visiteurs et livrer ses secrets. À commencer par son nom : Fraternidad. Pour un lieu intimement lié à la pratique de l’esclavage, c’est étonnant…

Los Caminos del Café est financé et porté par l’Historiador de la Ciudad, la fondation Malongo et des fonds de l’Union Européenne.

La zone des cafetales de ‘Oriente Cubano a été classée récemment « paysage culturel » par l’UNESCO. Pour plus de précisions, voir l’article Le tourisme est-il soluble dans le paysage ?


Bonus : Des familles d’origine française à Santiago de Cuba ? Si vous n’avez pas le temps de consulter les archives,faites un tour au cementerio Santa Ifigenia. Outre les hommes et femmes illustres qui y reposent, vous y trouverez quantité de pierres tombales qui attestent de cette migration. Même si l’orthographe a été souvent modifiée, ce sont bien des patronymes d’origine hexagonale !

¹ Quoique… Voir la page blancorodriguez qui permet de retrouver trace d’Alfonso Rodríguez Dranguet, juge en Espagne pendant la guerre civile, ayant joué un rôle dans le procès de Julian Grimau, retourné vivre à Guantánamo dans les années 50…

Du même auteur, l’histoire de la famille Dranguet se trouve sur le site dranguet.com. La saga familiale est reconstituée à partir de récits familiaux oraux et écrits, de documents consultés aux archives de Santiago de Cuba et au Biographical and Historical Memoirs of Northwest Louisiana, ainsi que sur internet. Cet article en est largement inspiré, merci et chapeau !

La Casa Dranguet dispose d’un site internet sur lequel sont publiés régulièrement des articles sur la vie culturelle à Santiago de Cuba, sur l’actualité du café et sur l’avancée des travaux à la Fraternidad.


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Appendice

La présence française à Cuba s’est poursuivie au XXe siècle, avec l’installation de nouvelles générations de planteurs, bien après l’abolition de l’esclavage. Ces français-là, souvent originaires du Béarn, ont été délogés par la Revolución de 1959.

Enfin, pas tous ! Pour en savoir plus consultez le site Ritmacuba à la page Fragments mémoriels sur les planteurs français à Cuba et leur descendance. Et bien sûr, lisez Retour à Cuba de Laurent Bénégui, paru en janvier 2021 chez Julliard. L’histoire romanesque d’une famille qui dans ses allers-retours France-Guantánamo, traverse les événements politiques majeurs du XXe siècle. Passionnant.

4 réflexions sur « Quand les Dranguet émigraient à Cuba »

  1. Excellent document , je pense être à Santiago en Novembre , je ne manquerai pas de visiter la Casa Dranguet . j’avais visité le cementerio et ,en effet, noté beaucoup de noms d’origine française ; je connaissais un peu l’histoire de ces migrations vers l’Oriente cubain ( l’alliance française bien documentée aussi )
    merci pour tous vos articles et votre Site de belle qualité , je me régale ! cordialement Lillie

  2. Bonjour,
    Avant toute chose, une coquille s’est glissée dans votre article : je suppose que vous vouliez parler de la seconde moitié du XVIIIe siècle et non du XIXe …
    Sinon, l’article est très intéressant et résume bien en quelques mots cette histoire parfois oubliée !
    Bonne continuation à vous !

  3. Hou la la, on a beau se relire, ce « détail » m’avait échappé. Merci Gaelle pour votre œil de linx et n’hésitez pas à me signaler d’autres coquilles.

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