Quand les Dranguet émigraient à Cuba

À Santiago de Cuba on tombe sur des noms français à tous les coins de rue. Et parfois aussi sur un bon arôme de café. Si vous avez les deux à la fois, vous approchez peut-être de la Casa Dranguet.

Dranguet ? Renseignement pris, c’est un patronyme normand, d’origine viking. Comment il s’est retrouvé dans l’Oriente cubain, c’est ce que je vais essayer de vous résumer :

Une révolution, des révolutions

La seconde moitié du XVIIIe siècle voit advenir l’indépendance des États-Unis, la révolution française et le début de la fin de l’esclavage, avec les événements de Saint Domingue (plus tard Haïti). Le conflit y provoque, entre autres, une forte migration des colons français vers Santiago de Cuba, entre 1790 et 1803.

C’étaient pour la plupart des migrants aisés, ayant une bonne expérience de la gestion agricole et commerciale. La famille Thomas arrive dans les premières, emmenant avec elle ses valeurs et son personnel, y compris les personnes réduites en esclavage. Pour Sophie, Charles et Benjamin Dranguet, c’est une autre histoire :

En 1794 ils avaient quitté Rouen, envoyés par leurs parents (girondins politiquement, donc inquiets pour leur avenir) pour tenter leur chance aux colonies. Ils optent pour Saint Domingue, alors considéré comme moins dangereux pour les colons que la Martinique ou la Guadeloupe… Mais quelques années plus tard ils fuient vers Cuba, où les français déjà établis sont en mesure de les accueillir.

Paysage de montagne entre la Gran Piedra et Santiago de Cuba. Les plantations de café y sont nichées.

Malgré la rudesse de l’environnement, leurs premières années dans l’Oriente sont prospères : les plantations et le commerce du café prennent de l’ampleur, la ville de Santiago aussi. Les français développent une méthode de culture en altitude qui fait encore de nos jours l’admiration des spécialistes.

Mais la prospérité est de courte durée car dans la vieille Europe, l’Espagne et Napoléon entrent en conflit. Les français ne sont plus les bienvenus à Cuba, toujours colonie espagnole. À l’été 1809 ils doivent fuir, bien que le gouverneur Kindelán leur garantisse la préservation de leur patrimoine.

Saga américaine

La famille Thomas, ainsi que Charles et Benjamin Dranguet, choisissent La Nouvelle Orléans, dans cette Louisiane récemment acquise par les jeunes États-Unis. Sophie opte pour Cartagena de Indias (Colombie) où elle épouse Roberto Clark, un propriétaire terrien qui possède de grandes plantations de coton à Providencia… Et au fil d’un itinéraire compliqué ils finissent par revenir à Santiago, où les hostilités contre les français ont cessé.

Pendant ce temps-là, en Louisiane, les frères Dranguet suivent des itinéraires bien différents. Charles épouse la jeune Maria Antonia Thomas, fille de ses collègues d’exil. Ils partent en France et on n’entend plus parler d’eux pendant un moment.

Maison de Benjamin Dranguet à Natchitoches, Louisiane. Photo droits réservés.

Benjamin, resté seul, part tenter sa chance à Natchitoches, peuplée essentiellement de français. Après quelques mâles batailles il épouse Mathilde Victoria Céleste Tauzin. Le couple a beaucoup d’enfants et une foule de petits enfants, ce qui explique la présence du patronyme Dranguet dans cette partie de l’Amérique du Nord.

Charles, le retour

Comme la plupart de leurs collègues, Maria Antonia et Charles rentrent à Santiago de Cuba après quelques années. On les attend de pied ferme pour qu’ils poursuivent ce qu’ils avaient si bien commencé : l’enrichissement par la culture du café et du sucre.

Charles a beaucoup de succès dans ses entreprises, il se lance dans la finance et possède une hacienda cafetalera à El Ramon sur les flancs de la Gran Piedra, et une autre à Yateras, vers Santa Catalina (aujourd’hui Guantánamo).

Le couple n’a qu’un enfant : Carlos Dranguet Thomas. Lui-même, marié à Elvira Agustina Beltran Chapduc, engendre quatre filles et un fils… qui part vivre en Espagne. Les Dranguet de l’Oriente cubain ne sont donc pas ses descendants directs et légitimes, mais les arrière-arrière petits enfants des esclaves libérés par la famille.

Naissance d’une grande maison

Mis à part ce souci de postérité, Don Carlos Dranguet Thomas est une figure éminente de Santiago de Cuba. Installé dans la maison de ses parents – nous y voilà ! il est très présent dans la vie politique de la ville, dont il est grand électeur. N’oublions pas qu’en 1868, à quelques dizaines de kilomètres de là, Carlos Manuel de Céspedes démarre le processus qui devait mener à l’indépendance de l’Île.

Angel, jardinier au Jardin la SIberia, voisin de la Fraternidad. Sa famille est probablement arrivée en même temps que les Dranguet, mais pas dans les mêmes conditions.

La suite de la saga Dranguet est en page 2 :

4 réflexions sur « Quand les Dranguet émigraient à Cuba »

  1. Excellent document , je pense être à Santiago en Novembre , je ne manquerai pas de visiter la Casa Dranguet . j’avais visité le cementerio et ,en effet, noté beaucoup de noms d’origine française ; je connaissais un peu l’histoire de ces migrations vers l’Oriente cubain ( l’alliance française bien documentée aussi )
    merci pour tous vos articles et votre Site de belle qualité , je me régale ! cordialement Lillie

  2. Bonjour,
    Avant toute chose, une coquille s’est glissée dans votre article : je suppose que vous vouliez parler de la seconde moitié du XVIIIe siècle et non du XIXe …
    Sinon, l’article est très intéressant et résume bien en quelques mots cette histoire parfois oubliée !
    Bonne continuation à vous !

  3. Hou la la, on a beau se relire, ce « détail » m’avait échappé. Merci Gaelle pour votre œil de linx et n’hésitez pas à me signaler d’autres coquilles.

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