Cuba : petit commerce deviendra grand…

Pendant des décades, toute activité économique était entre les mains de l’État. Aujourd’hui, certains craignent que les réformes ne favorisent le retour du capitalisme. Mais des voix s’élèvent pour appeler un chat un chat et légaliser ce qui existe déjà : les entreprises privées qui se sont développées dans un limbe juridique.

État des lieux

D’abord la possibilité de s’installer à son compte, puis celle d’employer des membres de sa famille et ensuite la création de coopératives « non agricoles » (car celles-ci existaient déjà)… en dix ans les perspectives offertes aux travailleurs se sont diversifiées à Cuba.

Mais… devenir chef d’entreprise ?  Le débat a marqué le 7e congrès du PCC de 2016 (je n’y étais pas) sans que les délégués ne parviennent à un consensus. Pourtant, autoriser un travailleur à embaucher des salariés… équivaut à reconnaître l’entreprise privée, non ? Une année entière a quand même été nécessaire pour que le parlement atteste leur existence.

Les textes “Conceptualización del Modelo Económico y Social Cubano de Desarrollo Socialista” et “Lineamientos de la Política del Partido y la Revolución para el periodo 2016-2021”, parus en mai dernier, vont sans doute marquer le futur social et économique du pays. Et de l’avis général, ce sont les textes les plus discutés et rediscutés de toute l’histoire de la Revolución !


« La propiedad privada sobre determinados medios de producción contribuye al empleo, a la eficiencia de la economía y al bienestar, en un contexto donde priman las relaciones socialistas de propiedad. »
La propriété privée sur des moyens de production déterminés contribue à l’emploi, à une économie efficace et au bien-être, dans un contexte où prime une conception socialiste de la propriété.


Cependant on voit bien dans l’exemple ci-dessus qu’ils ménagent perspectives d’avenir et fidélité aux valeurs de la Revolución. Mais les citoyens n’ont pas (ou plus) de temps à perdre et pendant ces débats, les affaires continuent ! Malgré les difficultés administratives, tous les jours de nouveaux Cubains se lancent à leur compte. Quant à ceux qui ont déjà un peu réussi, ils songent à développer leur affaire.

Qui sont ces nouveaux entrepreneurs ?

Longtemps réservée aux métiers de hôtellerie et de la restauration, l’entreprise individuelle est désormais autorisée pour une liste de plus de 200 activités, allant du transport de passagers à la location d’espace en passant par une foule de services à la personne.

Fin 2016, les travailleurs privés étaient déjà 535 000, le chiffre le plus élevé depuis 2010. 31 % des travailleurs indépendants sont jeunes, 32 % sont des femmes, 11 % sont des retraités qui font une deuxième carrière « dans le privé » et, petit détail qui a son importance, 16 % appartiennent aussi au secteur d’État, c’est à dire qu’ils cumulent deux boulots.

Ces chiffres nous sont fournis par la CTC, Central de Trabajadores de Cuba. 81,9 % des travailleurs indépendants cubains y sont affiliés, regroupés en 16 syndicats. Le plus grand nombre d’affiliés va à la restauration, à l’art et au tourisme – sans surprise, des secteurs auxquels les ministères correspondants accordent une grande importance, car ils représentent une énorme source de revenus.

n.b. : La législation cubaine ne reconnaît pas de syndicats indépendants en dehors de ceux-là.

Exercice pratique

Merca Hosteles, vous connaissez ? Non mais c’est normal, car ces nouvelles boutiques sont réservées aux entreprises individuelles – les fameux cuentapropistas – qui offrent des services aux touristes. Cinq sont inaugurées¹ ces jours-ci, s’ajoutant à celles qui fonctionnent déjà à Santiago de Cuba, Remedios et Trinidad. Vos hôtes peuvent y acheter, au prix de détail et en CUC, les aliments qu’ils mettront sur votre table.

21 000 casas particulares et 2 000 paladares sont les clients potentiels de ces nouveaux commerces. Certes, c’est beaucoup plus cher que de faire la queue au marché du quartier, mais au moins l’approvisionnement est garanti. Mais… qui fournit les Merca Hosteles ? Et bien, c’est simple, il s’agit de l’entreprise nationale Frutas Selectas. Une façon comme une autre de récupérer une partie des bénéfices générés par les commerces privés.

Quand on réalise que dans des villes comme Trinidad, Viñales et Baracoa, les casas particulares sont plus nombreuses que les chambres d’hôtel… on se dit que oui, Cuba est vraiment entré dans une phase d’actualisation de son modèle économique.

Dans un prochain article je vous fournirai les indices pour reconnaître au premier coup d’œil un magasin d’état d’un commerce privé. À bientôt !

Mise à jour 2018

Événement : le premier magasin de gros vient d’ouvrir à La Havane : Son nom ? Mercado Mercabal. Il se trouve avenida 26, esquina 35. Pour l’instant seules les 35 coopératives « no agropecuarias » de la capitale ont le droit de s’y fournir en haricots, refrescos, bières, sucre, hamburgers et saucisses… les articles les plus demandés dans les cafeterias. Le tarif est inférieur de 20 % à celui des magasins au détail. Petit coup de pouce pour grands changements…


¹ À Pinar del Rio, Baracoa, El Cerro (La Havane), Bayamo et Santa Clara.

Voir les articles Cuentapropistas tendrán tiendas especializadas para comprar sus productos sur le site Havana Live et Cuba reconoce la empresa privada dans Havana Times.

Photo à la Une : deux systèmes de marché cohabitent calle K à La Havane : à droite les petits entrepreneurs et leur variété de services, à gauche le marché à l’ancienne.


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