Cuba : le tourisme est-il soluble dans le paysage ?

À Cuba le développement du tourisme commence à inquiéter les experts de l’environnement. Ils se se sont réunis à Santiago en avril pour penser des stratégies qui garantiraient la préservation des ressources les plus vulnérables, comme le sont les paysages culturels. Ceux déjà labellisés par l’UNESCO,  comme ceux qui pourraient le devenir.


L’UNESCO qualifie de « paysages culturels » les « œuvres mêlant la nature et l’empreinte qu’y a laissée l’être humain ». Entrer dans ce cercle très fermé nécessite de démontrer la valeur exceptionnelle du site, de répondre à des critères précis d’intégrité et d’authenticité… et de mettre en place une stratégie de protection et de gestion.


Le temps presse : en 2016 on a enregistré 4 millions de touristes sur l’Île, soit une progression de 13% par rapport à l’année précédente.

Industria sin humo

Ou « industrie sans fumée » : c’est ainsi que l’on nomme le tourisme en Amérique Latine. Mais cette industrie est-elle si propre ?

Prenons Viñales¹, un petit village de planteurs de tabac, posé comme par inadvertance au milieu d’une vallée sublime. C’est un bon exemple des dégâts causés par l’ouverture au tourisme, sans régulations ni stratégie d’ensemble.

Viñales est très petit, donc fragile. Son expérience du tourisme ne date pas d’hier, mais le village n’était peut-être pas préparé à une telle croissance. Surtout depuis que le New York Times le recommande chaudement, alors qu’il n’y a toujours que 3 hôtels sur la zone.

Viñales : la tentation d’ouvrir un restaurant à la place de cette ferme qui produit du tabac ?

C’est vrai que chaque maison ou presque propose au moins une chambre à louer, et que plus de 70 paladares ont fleuri depuis le développement du commerce individuel. Et c’est bien compréhensible, car les revenus générés sont sans commune mesure avec ceux de l’agriculture.

Mais les infrastructures ne suivent pas et les attractions traditionnelles sont complètement engorgées : il n’est pas rare de voir un groupe de touristes faire la queue pendant 2 heures pour visiter la Cueva del Indio (je laisse ma place, j’ai horreur des grottes). Par ailleurs, l’approvisionnement est toujours un problème qui pèse sur la qualité de vie des habitants… Voyez l’article Coût de la vie et afflux de touristes pour comprendre la situation.

Bien plus grave que les petits soucis des vacanciers : l’architecture vernaculaire (bois, tuiles) disparaît au profit de pavillons construits avec les matériaux disponibles. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur ce phénomène dans l’article Des bienfaits du cuentapropismo, re-voici l’image avant-après qui résume le phénomène.

On frôle la perte d’identité, comme dans certains villages de Provence qui donnent l’impression d’avoir été remplacés, en une nuit, par des parcs d’attraction « Ma Provence for export ».


Pour maintenir la valeur universelle exceptionnelle du bien au fil du temps, il faudra contrôler les effets de l’augmentation du tourisme en définissant et appliquant des stratégies de gestion appropriées à cet égard ; élaborer et mettre en œuvre un plan d’action d’urgence pour éliminer ou atténuer les effets néfastes des cyclones ; (…) répondre aux pressions croissantes associées aux besoins de développement socio-économique urbain ; et établir des indicateurs de suivi liés à ces actions et à d’autres qui peuvent avoir un impact sur la valeur universelle exceptionnelle, l’authenticité et l’intégrité du bien.
Extrait du site de l’UNESCO.


La Vallée de Viñales et le premier site cubain reconnu « paysage culturel » par l’UNESCO dès 1999. Le paysage archéologique des plantations de café de l’Oriente de l’Île est le deuxième.

À quelques heures de Viazul vers l’est, Santiago la Rebelle trône au milieu de sa baie, adossée à un grandiose paysage de contreforts montagneux.

La capitale des Caraïbes possède de nombreux paysages que l’on peut qualifier de culturels : le Cementerio Santa Ifigenia, la localité de El Cobre avec sa cathédrale qui surgit des frondaisons, le système défensif d’El Morro… et les anciens cafetales perdus dans la montagne. Seuls ces derniers sont distingués par l’UNESCO et font l’objet d’un plan de sauvetage et de mise en valeur nommé Los Caminos del Café.

Piloté par l’Union Européenne, la fondation Malongo et l’Officina del Historiador de Santiago, il a déjà permis de réhabiliter l’ancien cafetal Fraternidad et d’ouvrir au public la Casa Dranguet, devenue Centro de Interpretación del Patrimonio Cultural Cafetalero. Une initiative qui ressemble fort à nos écomusées, lesquels témoignent du passé humain tout en relançant l’activité touristique dans les campagnes françaises.

Le facteur humain

La Casa Dranguet peu après sa réouverture, octobre 2015. Pour le tramway, on attendra…

La Casa Dranguet est un havre de fraîcheur en plein centre de Santiago. On peut y apprendre, tout en sirotant un excellent café, que « La topographie, dominée par les pentes escarpées des contreforts de la Sierra Maestra, illustre l’ingéniosité des propriétaires de plantations (principalement d’origine française et haïtienne) dans l’exploitation de l’environnement naturel par la sueur et le sang de leurs esclaves africains. »². Ça fait réfléchir…

Mais la capacité d’accueil de cette jolie maison coloniale ne peut pas rivaliser avec les playas de Gardalavaca… Alors non, ce tourisme plus respectueux du facteur humain ne sera jamais aussi compétitif que celui des barres de béton en bord de mer… Mais pour l’instant il n’y a pas d’autre solution que d’encourager les visiteurs à passer plus de temps dans les lieux visités, à différencier leurs parcours et à s’intéresser aux modes de vie des habitants.

Maisons de cueilleurs de café aux environs du cafetal Siberia, près de Santiago de Cuba : des conditions de vie qui n’ont pas beaucoup changé depuis des siècles.

Car ces « paysages culturels » sont habités ! Et l’interaction entre visiteurs et habitants est sans doute leur meilleure chance d’échapper à l’érosion provoquée, indirectement, par leur beauté exceptionnelle.


Voir l’article de José Roberto Loo Vázquez Paisajes Culturales : ¿ futuro del desarrollo del turismo en Cuba ? dans CiberCuba.

¹ Voir la page consacrée à Viñales sur le site de l’UNESCO.

² Voir la page consacrée aux cafetales de la Sierra Maestra sur le site de l’UNESCO.


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