Ballet de Cuba : Alicia Alonso tire sa révérence

Voilà c’est fait : Alicia Ernestina de la Caridad del Cobre Martínez Hoyo, épouse Alonso, qui fonda sa compagnie de danse en 1948 à La Havane, ne dirige plus le Ballet Nacional de Cuba.

Enfin, ça mérite quelques explications : Dame Alicia a fêté en décembre ses 98 ans avec un énorme gâteau dont la photo, devenue virale, a suscité des commentaires acides chez des Cubains qui font face à des pénuries de farine et même de sel…

Mais elle n’était pas apparue en public lors du dernier Festival de Ballet de La Havane, ce qui laissait supposer que sa santé étonnante finirait un jour par décliner officiellement. Et en parlant de gâteau…

Cake d’anniversaire d’Alicia Alonso, 98 ans. Photo trouvée sur la page FB du pâtissier Caffecino Varadero.

Cela faisait bien longtemps que les successeurs potentiels trépignaient à cour et à jardin, tandis que les courtisans gravitaient autour de la table du banquet. Mais Alicia tenait bon, jusqu’à ce 18 janvier 2019 où tous furent convoqué au siège du vénérable ballet, pour une réunion express durant laquelle le vice-ministre de la Culture les a informés que leur vie allait changer pour toujours.


« La magna obra de Alicia reside en haber dotado a un país tan pequeño de un Ballet tan grande. » Armando Hart, 6 septembre 1978.


En bref, Mme Alonso conserve symboliquement son poste de direction, mais un comité artistico-exécutif est créé, avec à sa tête… Viengsay Valdés, la Prima Ballerina de la compagnie depuis déjà plus de 20 ans.

Deux héritières et un joker

Ce ne sera donc ni Loïpa Araujo¹, longtemps considérée comme l’héritière naturelle, ni Carlos Acosta, fils prodigue qui a désormais d’autres chats à fouetter. Viengsay Valdés, danseuse étourdissante, n’a pas de formation en management mais jouit d’une réputation de sérieux au sein de la compagnie et des autorités.

Surtout, elle n’a jamais fait mine de déserter, à la différence de la majorité de ses pairs qui font carrière dans le monde entier, après avoir tenté de survivre dans les conditions de travail drastiques que leur offre leur Ballet Nacional.

On se demande si elle aura une ligne directe avec le gouvernement – ce qui était le cas d’Alicia – et si elle saura sortir le Ballet de sa lente perte de séduction, due au manque de moyens et à l’absence de projets artistiques, qui l’amènent à répéter sempiternellement les mêmes productions vieillottes.

Pour commencer, Viengsay a une équipe à consolider, un réseau de courtisans à dénouer et une tournée en Espagne à préparer, dont l’enjeu sera de redorer le blason de l’institution cubaine à l’international. On lui souhaite bien du courage.

Carlitos se va (bis)

Alicia Alonso et Carlos Acosta en 2009. Droits réservés.

L’annonce du changement au sommet du Ballet a succédé de quelques heures à un autre coup de tonnerre dans le monde de la danse : Carlos Acosta va diriger le Royal Birmingham Ballet. Au pays des Peaky Blinders, il est attendu de pied ferme par le fan-club qu’il s’est constitué pendant ses 20 ans de carrière à Londres.

L’histoire ne précise pas – pour l’instant – ce qu’il adviendra d’Acosta Danza, la compagnie qu’il a créée à La Havane en se passant des subsides de l’État. Revenu à Cuba récemment, habité de projets ambitieux pour le développement de la danse dans son pays, il s’est peut-être lassé des lenteurs administratives et de l’inimitié légendaire d’Alicia à son égard ?


C’est le moment de relire Carlos et Alicia : l’amour vache, un article de 2015, toujours éclairant et délicatement sarcastique.


Et les autres compagnies ?

Danza Contemporanea de Cuba, Mambo 3XX1 de George Céspedes, photo droits réservés
Danza Contemporanea de Cuba, Mambo 3XXI de George Céspedes, photo droits réservés

Le ministère de la Culture opèrerait un virage à 180 degrés dans son éthique révolutionnaire et se donnerait pour objectif de réduire la dépendance financière de nombreuses institutions. Il viendrait d’annoncer qu’il ne soutiendra plus que deux compagnies : le Ballet et Danza Contemporanea de Cuba. Les autres n’auraient plus qu’à se trouver de généreux donateurs, ou à disparaître.

Ce qui précède est au conditionnel car je n’ai trouvé qu’une source pour l’affirmer et je poursuis mes recherches dans ce sens. Avenir sombre pour la danse à Cuba ? Pas forcément, car certaines compagnies ont déjà appris à se passer de reconnaissance officielle, à l’image de Malpaso, en résidence au Joyce Theater de New York. Leur créativité n’en souffre nullement et les danseurs sont plutôt mieux payés que ceux de Danza Contemporanea.

Adios Alicia

Avant de laisser le rideau retomber, je vous propose un rapide parcours dans la vie d’Alicia Alonso : Née en 1921, elle épouse son partenaire à la scène, Fernando Alonso, à l’âge de 15 ans. C’est aux États-Unis que débute vraiment sa carrière, malgré une quasi cécité survenue très tôt.

Étoile au New York City Ballet, elle retourne à Cuba auréolée d’une réputation internationale pour y fonder sa compagnie. Après quelques années de succès, elle proteste contre le régime de Batista en interrompant son activité sur le sol cubain.

Mais 1959 la propulse à des hauteurs vertigineuses, si près du pouvoir qu’elle aura toute latitude pour développer son travail au sein du désormais officiel Ballet Nacional de Cuba.

On a tout dit sur son caractère intransigeant, son pouvoir disproportionné et ses difficultés à raccrocher le tutu, malgré l’âge de ses cartilages. Il faut toutefois noter qu’au plus fort de la campagne qui envoyait les soit-disant « déviants » dans des camps de travail (les sinistres UMAP), elle est intervenue pour faire libérer des danseurs de sa compagnie. Leur seule erreur politique était leur orientation sexuelle…

Pour comprendre les problèmes de succession posés par sa longévité, il faut comparer avec d’autres étoiles de la même génération : Imaginez le Royal Ballet de Londres toujours dirigé par Dame Margot Fonteyn (1919 – 1991) ou le sublime Erik Bruhn (1928 – 1986) toujours directeur artistique du Ballet Royal du Danemark. Et pourquoi pas, la grande Yvette Chauviré (1917 – 2016) à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris, à la place d’Aurélie Dupont…

Viengsay Valdés et Alicia Alonso, y pas photo. Photo justement de Nancy Reyes pour Vistar Magazine. Droits réservés.

Étrange ballet que cette ronde sans fin, non ? Allez Viengsay, merci pour ce souffle de jeunesse et rendez-vous au point d’orgue !


Sources : Designada Viengsay Valdés al frente del Ballet Nacional de Cuba sur le site Cubanet. Entrevista a Viengsay Valdés sur la page FB du Ballet Nacional. ¹

 ¹ Loïpa Araujo, danseuse et maintenant professeur et maître de ballet, a fait partie des légendaires « cuatro joyas del ballet cubano ». Dans les années 70 elle a été la muse de Roland Petit au Ballet de Marseille. Elle est actuellement directrice associée à l’English National Ballet.

Notez que le Ballet Nacional danse en ce moment au Gran Teatro de La Habana une série de Lac des Cygnes.


Photo à la Une : La Havane, janvier 2015 : à la fin d’une représentation du Ballet Nacional de Cuba, Alicia Alonso tire sa révérence sous les ovations du public.

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